Ridicule
homme s’était porté au centre de la mêlée qui pressait Fortunat, et tentait de s’interposer.
— Voler le chef-d’oeuvre d’un compagnon coutelier, il n’y a pas crime plus méchant ! hurlait un des détroussés en brandissant son canif à manche de corne sculpté de nombreux symboles de la confrérie. Laissez-le-nous !
Le voleur était empoigné de toutes parts et ses vêtements partaient en lambeaux. Il voyait avec angoisse sortir des couteaux dont les lames effilées lançaient des éclairs dorés. La lame d’or était le privilège conquis par la confrérie dont les fèvres-couteliers étaient le plus fier.
— Ta bonne amie, elle ira chez le voisin !
Des rires sinistres accueillirent la boutade.
Voyant que le malheureux avait déjà sa culotte sur les chevilles et se tortillait comme un désespéré pour soustraire son membre au sacrifice, Ponceludon arracha un pieu qui servait d’attache à une corde et le brandit devant les assaillants en hurlant :
— Lâchez-le !
— Sac à merde ! Trou du cul ! Bâtard de mule !
La meute des couteliers s’était retournée vers
Ponceludon qui n’eut pas d’autre parti que d’abattre son gourdin sur le crâne du premier qui s’approchait. Il s’ensuivit un chaud combat où Ponceludon, à grands coups de pieu, parvint à dégager Fortunat et à couvrir sa fuite.
Voir leur proie leur échapper redoubla la colère des couteliers qui la retournèrent toute vers Ponceludon et Bellegarde, aux cris maintes fois répétés de sac à merde, trou du cul, bâtard de mule, fiente de cul, trou à merde , et fouteur de bouses. Ayant mis la main sur un tas de tuiles, les compagnons s’en servirent de projectiles pour bombarder Bellegarde et Ponceludon, qui faisait des moulinets de son épieu pour dissuader les plus téméraires d’approcher. Ils parvinrent à s’échapper de la souricière et filèrent par les rues du plus vite qu’ils le purent.
— Aristocrates de merde ! lança un des poursuivants dépité lorsqu’une patrouille de grenadiers du Régiment du roi passant par là permit aux fugitifs de se réfugier dans son sillage.
— Ponceludon avait la lèvre fendue et tuméfiée, Bellegarde, malgré sa prudence, n’avait pu éviter une tuile et saignait sous sa perruque qui ressemblait à de la charpie de chirurgien.
Ils trouvèrent un « 24 sols » et se remirent de leurs émotions au gré du trot et des cahots de la route. C’est dans les états d’agitation intérieure qui suivent une grande frayeur que la différence des caractères est le plus visible. Ponceludon se taisait, Bellegarde dégoisait sur leur aventure.
— L’esprit semble le privilège des gens de qualité ! Avez-vous entendu ces bordées de quolibets ignobles ? Quelle pauvreté ! Un enfant de trois ans a plus d’esprit !
La volubilité du marquis l’aidait à retrouver sa confiance. Ses propres paroles l’enhardissaient.
— Je me suis retenu de leur lancer : « Vous avez l’esprit bien peu affûté, pour des couteliers ! »
Il riait, fanfaron, de ce bon mot.
— Mais, taisez-vous, je vous en prie ! finit par lâcher Ponceludon, pris de colère.
Le marquis, blessé, resta coi pendant le reste du trajet, et mit ce manquement à la civilité sur le compte de la compression nerveuse à laquelle son ami avait été soumis.
Le marquis fut consolé de l’humeur taciturne de Ponceludon par l’émotion que leur retour fit naître dans la maison. Charlotte les pansa, Mathilde les pressa de questions, Paul roulait des yeux effarés, tenant la perruque sanglante de son maître dans ses mains comme un animal mort. Ponceludon, peu enclin à donner les détails de l’incident, laissait le champ libre au marquis qui ne se faisait pas prier.
Les bleus et les bosses que les deux hommes avaient récoltés dans l’auberge les obligèrent à se tenir éloignés de la cour, le temps de retrouver figure courtisane — qui est un peu plus que figure « humaine ». Ils s’occupèrent à des travaux de science, et Ponceludon consacra plus particulièrement son temps à l’habit hydrostatergique. En quelques jours, l’ingénieur résolut adroitement quelques problèmes auxquels Mathilde se heurtait en vain depuis longtemps.
La respiration du plongeur était le problème principal, elle ne l’ignorait pas. Jusqu’à présent, elle avait utilisé un soufflet qui restait en surface, alimentant en air l’habit à travers un tuyau. Mais ce procédé
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