Ridicule
épouser sa cause avec une telle fougue, pensa Mathilde. Cette lanterne sous-marine était encore un de ces traits d’ingéniosité qui faisaient battre le coeur de la jeune fille. Elle aurait eu envie de l’embrasser pour cette trouvaille, mais se contenta d’opiner gravement, comme si elle était tout entière absorbée par la suggestion.
Les jours passaient, et la cour semblait lointaine aux deux jeunes gens. L’habit hydrostatergique était le seul objet des soins de Ponceludon. Elle guettait les bleus qui tuméfiaient son visage et les voyait pâlir à regret. Rouge, bleu, violet, gorge-de-pigeon avaient été des jours heureux où rien ne venait les distraire de leur travail et d’eux-mêmes. Le sourire de Ponceludon, contraint par sa lèvre douloureuse, n’avait plus cette courbe ironique qui mettait une infranchissable distance entre eux. Le jour même où, les meurtrissures s’étant résorbées, il avait retrouvé sa figure aimable, les préoccupations courtisanes avaient fait leur retour. Une lettre du cabinet du généalogiste informait Ponceludon qu’on désirait l’entretenir de son cas.
Mathilde détestait la cour qui lui avait pris son père et lui disputait Grégoire. Elle l’imaginait peuplée de femmes vénéneuses et pleines d’esprit, dont la malveillance et la frivolité étudiée éclipsaient ses qualités aux yeux du jeune homme. C’était si injuste que des ignorantes artificieuses captassent l’attention d’êtres qui avaient tant d’affinités avec elle. Fallait-il se résigner à ce que le pouvoir d’une femme fut en proportion inverse de l’ardeur de ses convictions, de la justesse de son entendement et de sa sincérité ?
C’était un après-midi radieux et les deux jeunes gens longeaient la Bièvre en revenant de chez le tanneur. La jeune fille marchait pieds nus, ses souliers à la main, et sa silhouette auréolée de soleil attendrissait Ponceludon. Il aurait eu envie d’effleurer sa main, de prendre son bras, mais ses vêtements étaient salis par la manipulation des peaux, et il puait la tannerie. Et puis, surtout, il jugeait inutile d’alimenter l’avenir en regrets, pour n’avoir pas su garder son quant-à-soi un bel après-midi d’été.
— Il faudrait utiliser des peaux de mammifères marins, dit-il.
— S’il le faut, j’en commanderai.
— Elles viennent de Nouvelle-France, ce sera cher.
— Vous oubliez que ma fortune est faite !
Elle avait dit cela d’un ton résolu qui avait cependant laissé paraître sa tristesse. Ponceludon se tut, Mathilde sondait son silence. Elle aussi désirait ne plus parler, et se prit à espérer que leurs motifs fussent semblables. Elle s’arrêta pour regarder l’eau, rêveuse.
— Je venais nager ici.
— Nager ? Vous savez nager ? s’étonna Ponceludon.
— Je vous apprendrai, c’est facile ! dit Mathilde joyeuse, et son visage exprima un abandon, une confiance en l’avenir proprement enfantine, que Ponceludon était incapable d’accueillir tant le sort de la jeune femme lui semblait tristement scellé.
— Vous avez déjà vu un noyé ? répondit-il avec un peu d’humeur. C’est la chose la plus horrible au monde...
— Vous n’avez pas confiance en moi, dit-elle d’une voix douce. Si on a peur de l’eau, elle devient votre ennemie.
— Peur ? C’est ridicule ! protesta le jeune homme, piqué au vif. Il existe des bateaux, des ponts... Pourquoi nager en un siècle comme le nôtre ?
— Pour le plaisir.
Le mot « plaisir », dans la bouche de Mathilde, qui avait accueilli ses caresses par un commentaire de physiologie, était aussi inattendu que désarmant.
— Vous êtes une enfant.
Blessée par le ton paternel du jeune homme, Mathilde s’appuya contre un arbre et ne répondit pas à ce qui, en outre, n’appelait pas de réponse. Ponceludon contemplait les eaux miroitantes de la rivière.
— Il doit y avoir des truites, ici...
À peine Ponceludon s’était-il radouci, que Mathilde laissait pointer son amertume.
— Comment sont les femmes à la cour ? On dit que certaines se font poudrer le corps entier.
La petite note discordante de la jalousie était agréable à ses oreilles, et Ponceludon se retourna vers Mathilde, avec un sourire de galanterie outrée.
— Beaucoup ont épousé de vieux singes fortunés, il est vrai... mais peu savent nager.
L’ironie encore ! Elle le toisa avec insolence.
— Il paraît aussi que les « solliciteurs » se
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