Ridicule
science livresque, mais rigoureuse, ennemie des métaphores.
— Enfin, oui ou non, Ponceludon a-t-il été « heureux » ? s’impatienta Bellegarde.
— Je le crois, monsieur, répondit Mathilde. Vous pouvez en juger vous-même.
— Es-tu grosse de ses oeuvres, ma fille ? finit par lâcher le marquis.
Mathilde rougit légèrement et assura que cela était impossible :
— L’accouplement qu’exige la génération n’eut jamais lieu entre nous, assura-t-elle sans détour.
Confus, mais rassuré, Bellegarde différa le récit de sa rencontre, pour éviter d’avoir à causer une douleur à sa fille. Il n’aurait pas voulu qu’elle s’assombrît, pendant qu’il était lui-même tout à sa joie de la savoir dans son intégrité.
Prodige d’égoïsme d’un homme seul trop occupé de ses études, les jours passants, Bellegarde en vint à considérer comme sienne et exclusive la douleur que lui causait la traîtrise de Ponceludon et, cachant la peine que lui causait la trahison de son disciple dans les replis de son coeur, il ne lui vint plus à l’idée d’informer sa fille de la présence à Versailles du jeune homme.
Deux semaines plus tard, avait lieu dans le salon d’Hercule une présentation de sourds-muets par l’abbé de l’Épée.
Mathilde et son père apprirent l’événement avec enthousiasme. Ils promirent à Charlotte d’obtenir de l’abbé la permission pour Paul de passer quelques jours avec sa mère, si toutefois il faisait partie des spécimens présentés au château. C’était évidemment leur plus grand espoir que d’apercevoir Paul parmi ces jeunes élèves de l’Épée.
Mathilde et son père prirent place parmi les premiers, afin d’être sûrs de n’être pas refoulés. Mais le roi, dont la présence avait été d’abord annoncée, ayant fait savoir qu’il s’était déjà fait présenter les sourds-muets en particulier, s’en déclara très satisfait et annula sa visite à la présentation publique. La foule fut donc moins considérable que prévu, les courtisans à l’affût du roi s’étant dispensés de venir.
Quand elle aperçut Grégoire qui entrait, donnant son bras à la comtesse de Blayac, Mathilde ressentit une vertigineuse confusion et pâlit. Ponceludon et la comtesse formaient le couple le plus remarqué du salon d’Hercule, La demi-veuve rayonnait au bras de l’auteur de « Judas avait d’excellentes fréquentations ». Elle avait un peu accéléré les délais de son veuvage, mais le garder trop longtemps eût été « gothique ».
Reconnaissant Mathilde et son père, le jeune homme quitta aussitôt son masque d’exquise galanterie et ne put réprimer un haut-le-corps.
— Que regardez-vous comme ça, mon ami ? railla la comtesse. On dirait un diable devant la Croix.
— Mathilde de Montalieri n’est pas dans ses terres ? bredouilla Ponceludon.
— Mlle de Bellegarde ? rectifia-t-elle avec désinvolture. Il est vrai que vous étiez dans les vôtres quand elle a rompu son engagement avec Montalieri.
Elle ajouta, avec une pointe de commisération :
— Son père est bien triste qu’elle ait perdu vingt mille livres de rente...
— Comme intrigante, vous n’avez pas d’égale, souffla le jeune homme d’une voix sourde.
— Patience, fit-elle, mutine, et vous n’aurez pas lieu de vous en plaindre.
Ils prirent place. Ponceludon se sentait misérable et honteux d’apparaître ainsi devant Mathilde, « blanc-poudré » au milieu de ses semblables, au bras d’une femme à la réputation de vanité galante des mieux établie. Il aurait voulu quitter les lieux sur-le-champ, mais la pensée de la Dombes l’en retint.
Bien qu’il ne l’aperçût qu’en profil perdu, il concentrait la flèche de son regard sur la jeune femme, dans 1 ‘espoir qu’elle se retournerait vers lui. Il n’en fut rien. Mathilde ne quittait pas des yeux la porte par où devaient apparaître les sourds-muets. Enfin l’abbé de l’Épée fit son entrée, et les murmures se turent.
— Pourquoi le sourd-muet est-il un être isolé dans la nature, incapable de communiquer avec les autres hommes ? commença-t-il de sa douce voix. Ne reçoit-il pas comme nous l’impression des objets ? Pourquoi celui-ci demeure-t-il stupide, et pourquoi devenons-nous intelligents ?
Une voix s’éleva :
— Car il est écrit : « Au commencement était le Verbe » !
C’était Mgr d’Artimont qui se battait pour rester du nombre des
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