Rive-Reine
sodomites. Il peut fournir une maîtresse à un homme, cacher un amant, détourner les soupçons d’un mari jaloux, indiquer une faiseuse d’anges à une femme embarrassée.
– En somme, j’ai pour ami le plus complet Vénitien qui se puisse trouver ! commenta le jeune homme.
Il tenait à marquer qu’il accordait avec lucidité sa confiance à l’homme dont la vieille demoiselle brossait un portrait sans concessions.
– Pour vous, ce sera un bon ami, j’en suis certaine. Mais il faut le connaître et le prendre tel qu’il est. Dilettante avec grâce, paresseux par vocation, érudit sans pédanterie, le comte voit la vie comme une sempiternelle promenade en gondole. Combien de fois l’ai-je entendu répéter, alors qu’il n’avait plus une lire en poche : « Aux petits des oiseaux Dieu donne la pâture, je suis certain qu’il va penser à moi ! » Et Dieu… ou le diable l’entend et, le lendemain, lui tombe quelque manne inespérée et salvatrice !
– C’est un homme chanceux. Il a foi en la vie. On ne peut lui en faire reproche, constata Axel.
– Certes, mais je me devais de parler ainsi à un garçon encore jeune, qui habite sous mon toit, conclut l’Anglaise, avec un sourire dont Axel imagina le pouvoir de séduction au temps de la jeunesse de miss Emily.
Dès les premiers jours, le jeune Métaz avait constaté qu’il régnait à Venise ce qu’il se plut à nommer, comme Gianfranco Brandolini, odor di femina , l’odeur de la femelle. Pour qui savait lire dans les yeux des femmes croisées place Saint-Marc ou dans les calle , leur façon de ralentir soudain le pas, d’hésiter devant l’éventaire d’un marchand en jetant un regard par-dessus l’épaule, de rire un peu trop fort en bavardant avec une amie, de se glisser dans leur gondole en dévoilant un peu plus de jambe que nécessaire, attirait l’attention du jeune étranger. Beaucoup de regards féminins contenaient des promesses, certains même des appels. Ne manquait à Axel que la méthode vénitienne d’en profiter. Le comte Malorsi, auquel il s’ouvrit avec franchise d’une envie d’aventure, se réjouit de voir son élève en telles dispositions.
– Vous sachant de la religion réformée, je craignais que vous ne fussiez strictement abstinent, dit-il en riant.
– Ayant le cœur libre et le corps en bonne santé, je ne vois aucune raison de me priver des plaisirs que les femmes sont à même de procurer aux hommes. Sans demander l’avis d’un pasteur, je considère comme vénielle toute faute qui ne corrompt pas l’esprit et ne cause pas de préjudice à autrui. Et puis j’ai déjà une certaine expérience des femmes, assura Axel avec la suffisance de celui qui entend ne pas passer pour puceau.
– À Venise, vous découvrirez que les chemins de l’amour sont aisés et multiples. L’amour, c’est la grande affaire des Vénitiens. Cela tient à l’air de la lagune, au mystère des canaux, à la pénombre des palais. Ici, celui qui n’est pas amoureux est considéré comme un malade ! Les mœurs sont libres et la plupart des gens ont le courage de leurs débordements et même de leurs vices. Cela sans ostentation, car, étant pour la plupart catholiques romains, s’ils pèchent contre plusieurs commandements, le septième surtout, ils se savent pécheurs, se repentent, font pénitence, obtiennent l’absolution de prêtres qui forniquent tout autant qu’eux et s’en repentent tout pareillement avant de retourner aux plaisirs défendus. Que voulez-vous, Dieu ne semble pas disposé à donner aux Vénitiens la force de résister aux tentations qu’exsudent nos vieilles pierres !
– Je me suis laissé dire que les courtisanes sont ici d’une roublardise particulière. Montesquieu affirme que le commerce tire sa prospérité des dix mille putains de Venise qui plument les jeunes gens. Le président de Brosses rapporte dans ses Lettres d’Italie que, croyant obtenir les faveurs d’une marquise, il découvrit une putain qui lui réclama d’emblée son salaire. Dans ses Confessions , notre Jean-Jacques Rousseau raconte son aventure avec une certaine Zulietta qui…
– Tous ces gens étaient des cuistres, mon ami. L’amour vénal n’est ni plus coûteux ni moins risqué qu’ailleurs, mais, à Venise, il n’est jamais sordide ou vulgaire. Il est enfariné de luxe, de fantaisie, de gaieté. On y mêle la poésie, la musique, la danse, le
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