Rive-Reine
de Chio par les Turcs indigne tous les gens civilisés. La sympathie des Genevois et des Vaudois pour ceux qui tentent de se débarrasser de leur oppresseur étranger se manifeste, maintenant, de façon concrète, dit Axel, qui venait d’envoyer sa souscription au comité philhellène de Vevey.
Depuis le 25 mars 1821, jour où l’archevêque de Patras, Germanos, avait lancé la proclamation qui devait déclencher l’insurrection en Morée, les Grecs, retrouvant le sentiment national, étaient entrés en conflit ouvert avec les Turcs. Après quelques victoires, les insurgés grecs avaient proclamé l’indépendance de la Grèce en janvier 1822. Mais les Turcs, s’étant ressaisis, avaient repris l’offensive et se livraient, depuis, à de terribles exactions. Quand ils ne passaient pas toute une population au fil de l’épée, comme à Chio, où plus de quinze mille hommes, femmes et enfants avaient péri, ils faisaient des prisonniers leurs esclaves, ce qui soulevait l’indignation des Occidentaux.
À Genève, des intellectuels, comme le recteur Jean-Jacques-Caton Chenevière, le jurisconsulte Bellot, l’écrivain Sismonde de Sismondi, le docteur Louis-Albert Gosse, le pasteur Munier et le professeur Martin Chantenoz, entretenaient un philhellénisme sentimental, l’Antiquité grecque étant perçue comme un héritage culturel inaliénable. On se montrait donc accueillant à ceux qui, fuyant la répression turque, avaient choisi la Suisse comme terre d’asile. C’est ainsi que les trois fils du prince de Moldavie, Michel Soutzo 7 , étaient élèves du nouvel institut fondé par M. Rodolphe Töpffer, alors que leur sœur, Mina, vivait au foyer de Jean-Gabriel Eynard.
Dans le canton de Vaud, plus encore qu’ailleurs, les Grecs jouissaient d’une sympathie agissante, car tous les Vaudois se souvenaient qu’ils devaient le maintien de leur propre indépendance à Jean Capo d’Istria. Ce grand diplomate, fils d’un boucher de Corfou, avait en effet joué un rôle déterminant, avant et pendant le congrès de Vienne, au moment où les Alliés, victorieux, entendaient abolir, en Suisse, l’Acte de Médiation de 1803. Cet acte historique, par lequel Bonaparte avait reconnu l’indépendance du canton de Vaud et son agrégation à la Confédération helvétique, avait permis aux Vaudois de se soustraire au joug bernois.
Capo d’Istria, par ses interventions auprès du tsar Alexandre I er , qu’il servait depuis 1809, avait réussi à obtenir confirmation de l’indépendance du canton de Vaud menacé par une restauration rétrograde, qui eût permis aux Bernois de reprendre autorité sur leurs anciens sujets.
Or Capo d’Istria se battait maintenant pour sauvegarder l’indépendance de son pays, la Grèce. On devait donc, par simple reconnaissance, aider le peuple grec.
Dès le commencement de l’insurrection, des comités philhellènes, destinés à recueillir des fonds pour les insurgés, avaient été créés, à Zurich et à Genève. Depuis 1822, les comités vaudois sollicitaient aussi la charité publique en faveur des patriotes grecs. À Vevey, le docteur Guisan était chargé de collecter les dons.
Il s’agissait d’envoyer aux combattants des armes, des munitions et des approvisionnements. Ce qui n’allait pas sans difficulté, les expéditions d’armes étant hasardeuses, non seulement du fait de la surveillance maritime exercée par les Turcs, mais aussi parce que les insurgés grecs devaient confier ces transports à des pirates, contrebandiers, corsaires ou flibustiers, qui prélevaient, sans scrupule, une part des cargaisons. Comme, sur le terrain, la rébellion grecque était divisée en factions rivales, qui ne pensaient qu’à s’assurer une future suprématie politique, les envois ne parvenaient pas toujours à ceux à qui les Suisses les destinaient !
– Avec les Grecs, les choses sont toujours confuses et les insurgés manquent d’un bon commandement et de discipline. Ce sont des gens rompus aux coups de main, incapables d’une action coordonnée et de grande envergure, dit Ribeyre.
– N’ont-ils pas d’officiers expérimentés ? demanda Blaise.
– En mars de l’an dernier, le prince Mavrocordato 8 , qui vivait à Pise, où se trouvaient lord Byron, le défunt Percy Shelley et d’autres Anglais dévoués à la cause grecque, s’est embarqué à Livourne pour la Grèce. Dès son arrivée, l’Assemblée
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