Rive-Reine
depuis que Guillaume avait convolé en Amérique.
Après avoir lu et relu la lettre de Blaise, Axel se rendit à Lausanne pour voir sa mère. Il tenta vainement de la faire revenir sur sa décision, allant jusqu’à lui proposer d’abjurer la religion catholique pour adhérer au protestantisme.
– Notre pasteur est un homme bon et d’une grande intelligence. Il comprendrait vos raisons, insista Axel.
– Ce serait une conversion de circonstance, de commodité, qui n’aurait rien de sincère. Et puis je ne veux pas anéantir ma pauvre maman, avec qui je viens de me réconcilier. Tu imagines : voir sa fille unique épouse adultère, puis divorcée et, enfin, protestante ! Ça la tuerait aussi sûrement qu’un coup de fusil, dit Charlotte, brisée.
Axel se contenta de hausser les épaules, insolence gratuite.
– Tu n’as jamais eu le sens religieux, Axel, je l’ai toujours pensé. Quand ton père t’emmenait à l’église, on voyait assez que ton attitude n’était qu’obéissance. Tu ne ressens pas le besoin d’entendre et de suivre la parole de Dieu. Tu ne peux donc comprendre combien je suis malheureuse, aujourd’hui, de ne pouvoir mettre mon cœur en accord avec ma foi !
– Il semble que vous y réussissiez, autrefois. Votre religion condamne l’adultère, non ? Et n’en suis-je pas le fruit ? dit Axel avec humeur.
– Ce fut un péché capital, certes, mais pas un sacrilège ! Tes mots me blessent, mon enfant, murmura Charlotte au bord des larmes.
– Je ne puis comprendre une religion qui prive des sacrements une femme légalement divorcée et pas une épouse adultère. Une confession et trois Ave Maria suffisent à absoudre une infidèle ! insista le jeune homme.
Voyant que sa mère pleurait, il la prit dans ses bras et l’embrassa tendrement.
– Pardonnez-moi de vous avoir parlé ainsi, mais je voudrais tant que vous fussiez heureuse avec Blaise, dont l’amour pour vous est sincère et profond. Avez-vous songé à l’humiliation que vous infligez à cet homme ?
– Axel, j’ai passé ma vie à l’attendre ! soupira Charlotte. Crois-tu que je ne souffre pas de l’impossibilité où je suis de l’épouser devant Dieu ?
– Ne confondez pas Dieu et les prêtres papistes, lança durement Axel.
– Je ne fais pas de confusion, Axel. Peut-être ignores-tu que saint Paul a écrit, dans sa première épître aux Corinthiens : « Une femme mariée est liée à son mari aussi longtemps qu’il vit. »
– Je connais mal saint Paul épistolier, mais je sais que le mariage n’est devenu un sacrement qu’à partir du pape Grégoire le Grand. Or, des sacrements, il n’en est que deux, institués par le Christ : le baptême et la cène. Les autres sont fabrications de l’Église catholique romaine. Vos prêtres ne peuvent donc vous priver d’un sacrement qui n’est point établi par les Écritures ! Si je me rappelle bien, Calvin – que vous n’aimez guère – dit, dans son Institution , que les papistes « en faisant du mariage un sacrement n’ont fait autre chose que chercher une cachette de toutes abominations 10 », car, ce faisant, ils mêlent le Saint-Esprit à un acte charnel, qu’ils interdisent par ailleurs à leurs ministres !
– Pour nous, catholiques, le mariage reste indissoluble, hélas ! répéta Charlotte, espérant clore la discussion.
Mais Axel n’avait pas dit son dernier mot.
– Seulement depuis le concile de Nicée et l’ Admonitio generalis de Charlemagne 11 , qui dispose : « que la femme, renvoyée par son mari, ne prenne du vivant de celui-ci un autre homme, ni l’homme, dont la première femme est en vie, ne prenne une autre femme ». Le mari qui vous a renvoyée ne s’est pas privé de convoler avec une jeune Américaine. Maman, rendez-lui la pareille ! conclut Axel.
Charlotte demeura pensive un instant, puis livra ce qu’elle croyait être une ultime justification à son refus d’épouser Fontsalte.
– Comment pourrais-je porter le nom de celui qui t’a donné la vie alors que tu continuerais à t’appeler Métaz ? Oublies-tu qu’il y a maintenant en Amérique une nouvelle M me Guillaume Métaz ?
Au lieu de troubler Axel, comme sa mère l’escomptait, cela le fit sourire.
– Ce sont là des considérations d’état civil qui m’importent peu. Seul compte votre bonheur, dit-il.
– Le bonheur
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