Rive-Reine
peut-il exister pour moi ? fit-elle en levant les yeux au ciel.
À bout d’arguments, Axel, faisant la part de la tendance de sa mère à se complaire dans les tourments romantiques et les conflits cornéliens, se résigna au silence. Il misait sur le temps.
Charlotte, tendrement appuyée sur le bras de son fils, pour bien marquer sans doute qu’elle ne lui tenait pas rigueur de ses propos, l’accompagna jusqu’à la porte. C’est alors qu’Axel aperçut, sur un guéridon, une paire de gants couleur crème. Charlotte les vit aussi.
– Ce sont les gants de Blaise. Dans son pays du Forez, on ne peut présenter sa demande en mariage qu’en grande tenue et ganté. Il les aura oubliés en partant, dit-elle d’un ton chagrin.
– Conservez-les, maman, peut-être serviront-ils un jour !
Les semaines qui suivirent furent, malgré un printemps radieux, des plus mélancoliques, aussi bien pour Charlotte que pour son fils. Quelques jours après le refus de sa maîtresse, Blaise avait quitté Lausanne pour Fontsalte.
Le drame de conscience de Charlotte Rudmeyer prit soudain une autre tonalité pour Axel quand il sut, par les journaux, qu’une armée française, sous commandement du duc d’Angoulême, fils aîné du comte d’Artois, avait passé la Bidassoa le 7 avril et marchait sur Madrid. Forte, disait-on, de cent mille hommes, qualifiés pour la circonstance de « fils de Saint Louis », cette expédition ne rencontrait, jusque-là, que peu de résistance de la part de quelques groupes de révolutionnaires, Espagnols, Français et Italiens, opposés au retour du despote Fernando VII.
On trouvait, à la tête des troupes royalistes, plusieurs officiers généraux de l’Empire, dont Napoléon avait fait la carrière, comme Molitor 12 , Oudinot 13 et Guilleminot 14 . Se souvenant de la conversation à laquelle il avait pris part, quatre mois plus tôt, entre Blaise de Fontsalte et son ami Claude Ribeyre de Béran, Axel se demanda quelle devait être l’attitude des deux généraux devant ce conflit, prévu depuis le congrès de Vérone. Ribeyre, qui admirait Chateaubriand, s’en mêlerait-il, bien que le duc d’Angoulême, neveu de Louis XVIII, eût organisé, en 1814, la seule résistance sérieuse aux bonapartistes lors du retour de Napoléon de l’île d’Elbe ? Quant à Fontsalte, dont Charlotte était sans nouvelles, ne trouverait-il pas matière à distraire sa déception par un intermède guerrier ?
M. de Chateaubriand, devenu ministre des Affaires étrangères en janvier, avait prononcé, le 25 du même mois, un discours patriotique devant la Chambre, pour justifier l’intervention française outre-Pyrénées. Axel avait lu des extraits de cette déclaration dans la Gazette . L’auteur de René avait affirmé : « Si la guerre avec l’Espagne a, comme toutes les guerres, ses inconvénients et ses périls, elle aura pour nous un immense avantage : elle nous aura créé une armée. […]. Il manquait peut-être encore quelque chose à la réconciliation complète des Français ; elle s’achèvera sous la tente. Les compagnons d’armes sont bientôt amis. […]. Le roi, avec une généreuse confiance, a remis la garde du drapeau blanc à des capitaines qui ont fait triompher d’autres couleurs ; ils lui réapprendront le chemin de la victoire ; il n’avait jamais oublié celui de l’honneur 15 . »
La réponse à ses interrogations, le jeune homme la reçut, quelques jours plus tard, par Fontsalte. Dans une lettre datée de Marseille, le général annonçait qu’il s’embarquait, non pour l’Espagne, mais pour la Grèce ! L’Angleterre avait en effet délégué à Athènes, en Morée et dans les îles Ioniennes des officiers capables d’encadrer les patriotes en lutte contre les Turcs, le colonel Napier et le colonel Stanhope notamment, et des pasteurs qui devaient être des agents politiques. Le comité français de soutien aux insurgés grecs, inquiet, avait donc décidé d’envoyer des observateurs et des conseillers français. Le prince Mavrocordato, que connaissait Ribeyre de Béran, subissait l’influence britannique qu’il convenait de contrer.
Contrairement à ce qu’avait imaginé Axel, Claude Ribeyre de Béran était resté aussi insensible que son ami Fontsalte aux envolées lyriques de M. de Chateaubriand et aux propositions des généraux recruteurs qui, couvée de l’aigle impériale, engageaient sans
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