Rive-Reine
d’autres que le comte Guiccioli pouvaient causer des ennuis au poète qu’il admirait et dont il eût aimé connaître la vie dans tous ses détails. La police autrichienne et les agents pontificaux s’intéressaient de près à cet Anglais, qui ne cachait pas sa sympathie pour les Italiens épris d’indépendance. Byron, aristocrate dilettante, se posait partout en défenseur de la liberté. N’avait-il pas écrit en 1813 : « J’ai simplifié ma politique ; elle consiste à présent à détester à mort tous les gouvernements qui existent 2 ! »
– Il est vrai, dit le comte, à qui Axel rapporta sa conversation avec miss Grafton, que cette attitude d’anarchiste a des racines plus personnelles que sociales. Certes, Byron a loué Voltaire et Rousseau, mais il a aussi admiré Napoléon, qu’il nommait « mon héros de roman », ce qui agaçait ses compatriotes. Toutefois les blâmes suscités en Angleterre par les troubles relations du poète avec sa sœur Augusta ont plus nui à sa réputation que ses choix politiques. Les premiers expliquent mieux que les seconds l’acharnement révolutionnaire d’un aristocrate dont les facultés altruistes restent, ne vous en déplaise, à démontrer !
– La bonne société anglaise est d’une incroyable hypocrisie. J’en sais quelque chose, dit vivement Axel. En Angleterre, le vice n’existe pas si on le cache, le scandale est sans portée si on le tait, et le mépris peut aller de pair avec la possession amoureuse ! Néanmoins, je trouve l’attitude de lord Byron, qui, lui, a le courage de ses opinions, de ses manquements à la morale et aux mœurs, de ses vices avoués, plus noble que celle de ses détracteurs, quel que soit l’appareil vertueux dont ils se parent comme d’un masque ! Lord Byron pourrait tranquillement jouir de sa fortune, de la beauté de l’Italie, consacrer ses jours aux plaisirs, vivre comme un touriste adulé, alors qu’en prenant fait et cause pour les opprimés il ne s’attire que des tourments !
Le comte Malorsi, mieux que le jeune Veveysan, connaissait les hommes et savait, par expérience, que leurs actes s’expliquent le plus souvent par intérêt, gloriole, désir de plaire ou convoitise. Il sourit et prit Axel par le bras pour l’entraîner sous les arcades, à distance des promeneurs.
– Il faut savoir, mon ami, dit-il sur le ton de la confidence, qu’en Romagne la famille de Teresa, le frère et le père de cette dernière surtout, ne cache pas sa sympathie pour les rebelles qui s’efforcent de susciter un soulèvement populaire contre le gouvernement despotique mis en place par les Autrichiens. Par générosité de tempérament, mais aussi par amour pour Teresa et parce qu’il a une grande estime pour les parents de sa maîtresse, lord Byron a épousé la cause de ceux que nous nommons, entre nous, romantici . Tel un héros antique, notre Anglais rêve d’action. La liberté étant plus affaire de fusils que de sonnets, il estime, car il a oublié d’être modeste, qu’un engagement révolutionnaire peut ajouter un panache guerrier à sa gloire littéraire ! Ainsi, je me suis laissé dire qu’il retrouve des conspirateurs dans les clairières et participe à des banquets, au cours desquels il prononce des discours républicains enflammés. Plus sérieusement, il financerait des achats d’armes pour emplir des caches dont il serait l’un des rares hommes à connaître les emplacements. On dit même qu’il s’est affilié aux carbonari. Tout cela se murmure à Ravenne, à Padoue, à Venise.
– Je croyais la police autrichienne très active, s’étonna Axel.
– Elle l’est, et lord Byron est espionné en permanence, à la fois par les agents autrichiens et par les sbires du légat du pape. À la poste, ses lettres sont ouvertes et lues, comme toutes celles qu’envoient les gens suspectés d’aider les rebelles et même celles des résidents étrangers inoffensifs. Tenez, si vous n’êtes pas déjà surveillé, vous le serez bientôt. Mais je pourrai le savoir et vous en prévenir.
– Citoyen d’un pays dont la neutralité est reconnue par les puissances de la Sainte-Alliance, je ne crois pas courir grand risque, dit Axel avec l’assurance de l’honnête citoyen, respectueux des lois.
Dès les premières semaines de son séjour, Axel voulut tout savoir de Venise. Avec Ugo Malorsi, dans la gondole de Berto, il parcourut tous les canaux et
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