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Rive-Reine

Rive-Reine

Titel: Rive-Reine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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Il est bien temps ! »
     
    Seule la conclusion de cette longue lettre sacrifiait aux sentiments et à la morale religieuse :
     
    « Quoi qu’il advienne, je veux croire que tu me considéreras toujours comme ton seul et véritable père selon le cœur, l’esprit et la loi, car tu restes à jamais mon fils et le continuateur de tout ce que j’ai créé et qui t’appartiendra en propre quand je ne serai plus. Tu sauras faire honneur au nom que je t’ai donné, tu agiras suivant les préceptes de notre religion protestante, la seule qui vaille d’être respectée et suivie.
     
    » Enfin, souviens-toi de ce qu’a écrit du septième commandement Jean Calvin dans son Institution chrétienne : “Dieu commande qu’un chacun pour éviter paillardise ait sa femme, et qu’une chacune femme ait son mari.” Le malheur qui m’est arrivé ne condamne pas l’institution du mariage, car Dieu impose nécessité de se marier à ceux qui ne peuvent vaincre l’humaine concupiscence que seule une grâce rarement accordée peut nous épargner. Donc, quand le temps sera venu pour toi de prendre une épouse, je te conjure d’élire une sage protestante et non, comme j’ai eu l’imprudence de le faire par engouement amoureux, une papiste. Le catholicisme tolère ce que nous condamnons, admet et pardonne le mensonge, donne à l’homme outrecuidant le pouvoir d’absoudre qui n’appartient qu’à Dieu. Conçu et organisé par les hommes et pour les hommes, le catholicisme, qui veut avoir réponse à tout, s’accommode de toutes les faiblesses humaines quand il ne les flatte pas. »
     
    Axel relut plusieurs fois, et avec émotion, la lettre paternelle. Les derniers paragraphes le firent sourire. « Pauvre papa ! se dit-il. S’il savait qu’en fait de paillardise je fus très précoce et qu’à moins de dix-neuf ans je n’ai plus grand-chose à apprendre du commerce des femmes, il serait bien déçu ! Et s’il apprenait que je n’ai pas mis les pieds dans un temple depuis bientôt deux mois, alors que je passe des heures dans les églises catholiques à regarder des tableaux et des fresques où triomphent la Vierge Marie et des foules de saints auréolés, peut-être me rejetterait-il, comme il a répudié ma mère. »
     
    Ce soir-là, tandis qu’une pluie froide inondait places et ruelles, Axel demeura longtemps, derrière la fenêtre de son appartement où brûlait, dans la cheminée monumentale, le premier feu de bois, à suivre, l’œil vague, le crépitement des gouttes sur l’eau verte du canal. De rares gondoles, felze clos, fers dégoulinants, poussées par des bateliers muets, vêtus et coiffés de toile huilée, glissaient sous l’averse. L’eau de la lagune était l’élément des gondoliers mais celle du ciel les importunait. Courbés sur leurs esquifs noirs, ils perdaient leur suffisance désinvolte et maniaient nerveusement la rame.
     
    Axel se plaisait dans son logement palatin au parquet grinçant, qui « sentait le vieux », comme aurait dit la défunte tante Mathilde. Les pièces sombres, meublées de commodes, d’armoires et de tables d’un autre âge, massives et patinées, constituaient un abri sûr, plus rustique que douillet mais où il se sentait à l’aise, loin de tout ce qu’il avait connu. Le lit, nef d’acajou, reposait sur quatre griffons accroupis. L’animal mythique, présent sur le blason des Malorsi, se retrouvait sur les trumeaux et aux poignées des portes. Dilettante curieux et avide de connaissances, le jeune homme meublait les heures qu’il ne passait pas en ville à lire des ouvrages sur la peinture, l’histoire de Venise, le commerce et les amours de la Sérénissime et se perfectionnait en dialecte vénitien. Il ouvrait, de temps à autre, ses livres de droit, sachant qu’il devrait, dès son retour en Suisse, reprendre les cours à l’Académie de Lausanne afin de « mener ses études à terme », comme le souhaitait Guillaume. Le dépaysement l’ayant rendu à la sérénité, il passait, sous le plafond à caissons armoriés, des nuits sans cauchemars. Les seuls objets personnels, jalons dérisoires de sa courte existence, placés dans ses bagages au moment de quitter Vevey, auraient fait sourire quiconque les eût découverts. Il y avait là, au fond d’un tiroir, toujours intact dans son papier de soie, le sucre d’orge, message d’adieu, que lui avait laissé Tignasse, l’épicière de La Tour-de-Peilz, avant de rejoindre à Rome

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