Rive-Reine
était ressorti, ayant assez jonglé avec chaises et bancs. Réfugié sur la rive des Esclavons, il avait chargé et mis en déroute une section de fantassins autrichiens, dont les tirs de mousquets étaient restés sans effet. C’est alors que le capitaine Alboretti avait suggéré aux autorités d’emprunter un canon à l’arsenal. Deux boulets avaient été nécessaires pour abattre l’éléphant, dont les Vénitiens s’étaient partagé la viande, tandis que M lle Garnier pleurait la perte de son gagne-pain 4 !
– Les Vénitiens ont toujours eu de la curiosité pour les animaux exotiques. Ils conservent de ce pachyderme furieux un mauvais souvenir, alors que le rhinocéros importé d’Afrique à l’occasion du carnaval de 1751 n’en a laissé que de bons. Il avait été si bien adopté par le peuple que Pietro Longhi peignit son portrait. Je vous ferai montrer ce tableau, conclut Malorsi.
Depuis son arrivée à Venise, Axel était sans nouvelles de celui qu’il considérait toujours comme son véritable père. Mi-novembre enfin, la première lettre de Guillaume lui confirma toutes les dispositions prises par ce dernier au lendemain du drame familial.
« Il serait bon que tu rentres à Vevey avant Noël si tu veux me revoir, car nous embarquerons pour l’Amérique, ta sœur Blandine et moi, au commencement de janvier », écrivait Métaz. Il donnait aussi des précisions sur son installation outre-Atlantique :
« Grâce à M. Albert Gallatin, le grand Genevois, ancien secrétaire au Trésor, autrement dit ministre des Finances du gouvernement américain sous le président Thomas Jefferson et qui, depuis 1815, est ministre des États-Unis à Paris, nous sommes attendus dans le New Schwitzerland, la Nouvelle-Suisse, établissement situé sur la rive droite du fleuve Ohio, dans le comté de Jefferson, à deux lieues et demie de l’endroit, très fertile, où la rivière Kentucky se jette dans l’Ohio. Cet établissement a été créé en 1803 par des Vaudois. Jean-Jacques Dufour, de Montreux, dont je connais la famille, en fait partie. La vigne est déjà acclimatée et les colons ont produit, l’an dernier, près de deux mille hectolitres d’un vin que tout le monde trouve bon. On peut, là-bas, acquérir de la terre avec dix années de crédit. Je compte bien que les pieds de chasselas que j’emporte prendront dans le sol américain et qu’un jour le vin des Métaz sera sur les meilleures tables du pays. On cultive aussi avec succès le maïs, la pomme de terre, le chanvre, le lin, les arbres fruitiers. L’élevage se développe. Les troupeaux de vaches, de moutons et même de porcs se multiplient. Des femmes de colons ont fondé une fabrique de chapeaux de paille de plus en plus demandés. On les expédie, par le fleuve, jusqu’à Cincinnati, et même en Nouvelle-Angleterre. Enfin, une ville sort de terre autour d’un bureau de poste. On doit la nommer Nouvelle-Vevey, ce qui nous va droit au cœur. On appelle déjà Venoge 5 la petite rivière de l’endroit.
» Tu vois que ta sœur et moi ne mourrons pas de faim en Amérique, malgré tout ce que raconte Blanchod, qui essaie de nous faire peur avec des histoires d’Indiens. M. Gallatin, que j’ai vu à Genève quand il a rendu visite à sa famille, m’a assuré que les Peaux-Rouges ne sévissent que dans l’Ouest et les montagnes Rocheuses, où nous n’avons rien à faire. On dit qu’ils sont excités par les Anglais qui n’ont toujours pas digéré la perte de leur colonie d’Amérique. »
Suivait un état détaillé des comptabilités des entreprises Métaz et Rudmeyer, du chantier des barques aux carrières de Meillerie, en passant par le vignoble, le commerce des vins et fromages, les participations dans les ateliers d’horlogerie et la fabrique de chocolat, affaires que devrait conduire Axel avec l’assistance de Simon Blanchod et les conseils de Charles Ruty, le notaire de la famille.
« Et cela, en menant à leur terme tes études de droit, ce qui demandera un effort particulier, dont je te sais capable », ajoutait Guillaume. Il annonçait aussi que le jugement de divorce serait bientôt légalisé. « Encore que ces choses aillent trop lentement à mon gré », précisait-il. Guillaume ne faisait qu’une autre allusion à l’infidèle Charlotte : « Ta sœur Blandine a rendu visite, avec Élise Ruty, à votre mère, à Lausanne. Paraît que toutes ces dames ont pleuré.
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