Rive-Reine
distribué le nouveau fusil 1777, qui tirait quatre balles en trois minutes, avec une portée de deux cents pas.
Tandis que l’ancien soldat s’épanchait avec force détails, rappelant comment Napoléon, qu’il nommait le Petit Tondu, avait magistralement conduit une bataille au soir de laquelle on avait compté quarante drapeaux pris à l’ennemi, Axel pensait à Blaise. C’est en chargeant sur ce plateau verdoyant, alors enneigé, que le colonel Fontsalte avait reçu, à la joue gauche, un coup de lance dont la cicatrice se voyait encore.
Pendant que le jeune homme tentait de se représenter les mouvements des troupes, Armand désigna le mamelon de Zuran, au bord de la route de Brno à Olmütz, d’où l’empereur avait dirigé les combats.
En retournant à la berline, Chantenoz, qui s’était éloigné entre les ceps rabougris, revint, présentant sur sa paume une plaque de cuivre couverte de vert-de-gris. Armand, d’un jet de salive et d’une friction sur sa houppelande, nettoya la relique et fit apparaître une sorte de blason, où l’on reconnut l’aigle impériale, le collier de la Légion d’honneur, un heaume, le sceptre et la masse.
– C’est une plaque de sabretache d’officier, dit le cocher, sans hésiter. Probable que son propriétaire n’a plus mal aux dents et que ses os sont là-bas, dans les fosses communes où, quelques jours après la bataille, les paysans d’ici jetèrent, sans distinction de nationalité, les quinze mille cadavres ramassés dans les champs alentour.
– Sic transit gloria mundi , commenta Martin Chantenoz en empochant la relique.
Les voyageurs reprirent la route en silence. Austerlitz n’était plus un glorieux site historique, mais un champ des martyrs. Bientôt, l’attelage bifurqua au sud, pour contourner les Carpates Blanches en suivant le cours de l’Orava, qui coule au pied des monts Oravska Magura. C’est alors qu’ils atteignirent la zone la plus sauvage, que domine le Babia Góra, qui culmine à 1 703 mètres. Lors d’un arrêt, Franz désigna à ses compagnons de voyage une chaîne de montagnes qui, au sud-est, barrait l’horizon.
– Les monts Métallifères, qui recèlent toutes sortes de métaux et, même, de l’or, dit-on.
– Koriska est au pied de ces montagnes, ajouta Armand.
Et c’est à l’heure mauve du crépuscule, alors que le soleil, glissant derrière le rempart des sommets, projetait des lueurs de cratère, qu’apparut, dressé sur un piton, comme un samovar sur son trépied, le château de Koriska. Surmontant sa masse noire, cernée d’arbres, se détachait, comme une ombre ciselée de Hauswirth, le découpeur de papier du pays d’En-Haut, une tour carrée, coiffée d’un toit pyramidal.
Les voyageurs furent un moment sans parler et les chevaux s’arrêtèrent d’eux-mêmes, comme s’ils estimaient, d’instinct, que l’apparition valait cette halte.
– Eh bien ! nous y voilà tout de même, dit Armand, rompant le silence.
– Nous irons coucher au village, un peu plus loin, ajouta Franz. Un paysan m’a dit tout à l’heure qu’il se trouve à une demi-lieue de là. Et demain, mon bon monsieur, si le cœur vous en dit toujours, vous irez rendre visite à votre châtelaine.
– Peut-être faudrait-il se faire annoncer, risqua Chantenoz, que le décor impressionnait.
Mais, déjà, Axel avait ouvert la portière de la berline et sauté sur le chemin.
– J’y vais de ce pas. Continuez jusqu’au village. Je vous rejoindrai… demain ou plus tard.
– Mais tu ne vas pas arriver, comme ça, chez des gens que tu ne connais pas ! se récria Chantenoz.
– Martin ! Je n’ai pas fait tant de route pour attendre le jour dans une auberge aussi infecte que toutes celles que nous avons connues depuis notre départ de Weimar ! Allez et ne vous inquiétez pas pour moi.
Cette conversation à la nuit tombante, sur une route déserte, au pied de cette forteresse, avait quelque chose de dérisoire. Armand, descendu de son siège, intervint :
– Puisque vous êtes si pressé, voulez-vous que je vous accompagne jusqu’à la porte ? Après tout, ces gens peuvent peut-être nous loger tous et ce serait mieux que…
– Non ! Je vais y aller seul. Si la personne que je dois voir est là, comme j’y compte, je serai bien accueilli. Passez-moi mon petit sac à toilette, Martin.
– Et vos pistolets, on ne sait
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