Rive-Reine

soigneusement balayé, Adrienne invita Axel à la suivre dans le sanctuaire. Axel découvrit, sur les murs blanchis à la chaux, une série de tableaux naïfs qui racontaient la vie, le martyre et les miracles de saint Pertinent. D’après le peintre hagiographe, l’ermite vivait en bons termes avec les animaux des montagnes, y compris les loups et les ours. Accusé de jeter un sort aux chasseurs qui ne parvenaient plus à tuer le moindre animal à poil ou à fourrure, il avait été pris et brûlé comme sorcier. Le premier miracle remontait au jour du supplice. Hurlant à la mort autour du bûcher, une meute de loups avaient terrorisé le village et tiré des flammes le squelette de Pertinent. Ils l’avaient nettoyé, léché, poli et traîné à l’abri, dans une grotte. Bien des années plus tard, des moines de Koriska, qui herborisaient dans la montagne, avaient découvert les os de l’ermite qui, par on ne sait quel prodige, tenaient encore ensemble ! Une rose s’épanouissait dans la mâchoire du squelette. On avait aussitôt construit une chapelle pour abriter les restes du martyr.
     
    Axel, passant des peintures naïves au maître-autel, se trouva face à saint Pertinent en majesté. Le squelette, revêtu d’une tunique pourpre à galons dorés et coiffé d’une mitre, se tenait les mains posées sur les genoux. Ses orteils dépassaient du bas de la robe. Bien qu’on fût en hiver, une superbe rose rouge flamboyait entre ses dents jaunes.
     
    – N’est-il pas beau, notre Pertinent ? dit une voix doucereuse.
     
    Un moine encapuchonné, qu’Axel n’avait pas entendu approcher, se tenait derrière le visiteur.
     
    – Quand a-t-il été canonisé ? demanda le Vaudois.
     
    – Oh ! Ça remonte à la nuit des temps ! Personne ne le sait plus, mon bon monsieur. Mais, voyez-vous, la rose que nous glissons chaque été entre ses dents, pour respecter une consigne donnée par ceux qui retrouvèrent ses saints restes, ne se fane qu’au jour où nous pouvons la remplacer par une autre rose de notre jardin. N’est-ce pas déjà miraculeux ?
     
    Pour parler, le religieux avait relevé son capuce, livrant au regard d’Axel un faciès vulgaire, blafard, des joues creuses, imberbes, des yeux de fouine, rongés de blépharite, cernés de violet. En même temps que le jeune homme découvrait ce visage peu avenant, le moine remarqua le regard vairon du visiteur. Cette révélation le conduisit à rabattre promptement son capuchon et à se montrer encore plus obséquieux.
     
    – Touchez l’orteil du saint et faites un vœu, mon bon monsieur. Il sera exaucé dans l’année, proposa-t-il.
     
    Axel se retourna pour connaître le sentiment d’Adrienne, mais celle-ci était restée près de la porte. « Naturellement, elle connaît toutes ces simagrées », se dit le protestant en se dirigeant vers le squelette assis. C’est au moment où il approchait l’index de l’os du gros orteil du saint que le phénomène se produisit. Le squelette retira son pied sous sa robe, au grand ébahissement du Vaudois, qui ne put retenir une exclamation :
     
    – Ça alors !
     
    Axel connut un autre étonnement en voyant le moine tomber à genoux sur les dalles et crier :
     
    – Miracle, miracle ! Pertinent a bougé le pied. Prions ! Prions pour qu’il ne se fâche pas contre l’impur !
     
    Axel ne croyait pas au miracle. Flairant une supercherie, il se ressaisit et, d’une main ferme, remit le religieux sur pied.
     
    – Qu’est-ce que ça veut dire, hein, capucin !
     
    – Ça veut dire, étranger, que vous n’avez pas le cœur pur et la foi sincère. Le saint refuse de subir un attouchement sacrilège. Mais, si vous vous humiliez assez et faites une grosse offrande pour l’entretien de son église, vos bijoux et votre montre par exemple, saint Pertinent vous pardonnera, conclut humblement le religieux.
     
    L’incident avait incité Adrienne à s’approcher, Lazlo sur les talons.
     
    – Viens, Axou. Laisse dire et faire, viens, partons, insista-t-elle, visiblement ennuyée.
     
    – Un moment, jeta Axel, qui avait son idée.
     
    Avant que le moine ne pût s’interposer, le jeune homme se glissa derrière le piédestal du saint. On entendit un léger remue-ménage et le Vaudois réapparut, tenant par l’oreille un moinillon tremblant.
     
    – Maintenant, ladies et gentlemen, je vais vous montrer comment ce brave Pertinent remue le pied quand une figure ne lui revient