Rive-Reine

pas !
     
    Disparaissant à nouveau derrière le trône, Axel fit aller et venir sous la robe le pied du squelette.
     
    – Voilà comment, avec une ficelle, on abuse de la crédulité des visiteurs pour leur tirer des offrandes !
     
    Jugeant la démonstration incomplète, il approcha un banc, y grimpa et enleva la rose que suçait le squelette.
     
    – Elle est en soie, fort bien imitée d’ailleurs, et certainement immarcescible ! Vois, cria-t-il à Adrienne, avant de poser un baiser sur la fleur artificielle et de la lui lancer.
     
    La Tsigane avait assisté à la scène les yeux écarquillés, tandis que moine et moinillon se voilaient la face. Comme ils tentaient de fuir, Lazlo les retint par leur froc et, sur un ordre d’Adrienne, disparut avec eux derrière le maître-autel.
     
    D’un pas nerveux, la jeune femme gagna la sortie, suivie d’Axel.
     
    – Ta brute de service va-t-elle faire de ces escrocs de nouveaux martyrs ? demanda-t-il.
     
    – Ces imbéciles recevront, en tout cas, une bonne correction, répondit-elle en pouffant, maintenant qu’ils étaient seuls.
     
    Installés dans le traîneau en attendant le retour de leur cocher, Axel et Adry donnèrent libre cours à leur hilarité.
     
    – Avoue que tu connaissais la supercherie du pied qui remue ? demanda Axel entre deux éclats de rire.
     
    – Je ne connais pas tous leurs attrape-nigauds, mais reconnais que celui-ci est assez bien trouvé, non ?
     
    – Es-tu certaine que saint Pertinent ait jamais existé, en chair et en os ?
     
    – En tout cas, il existe… en os, s’esclaffa Adrienne, riant aux larmes.
     
    – Et en effigie, conclut Axel en tirant de sous sa chemise la médaille offerte par Zélia.
     
    Le retour eût été joyeux sans Lazlo avec qui Adrienne eut, en dialecte, une conversation véhémente.
     
    – Que veut-il ? finit par demander Axel.
     
    – J’ai dû le convaincre de ne rien dire au château de l’incident. Tout le monde n’a pas ce que les Anglais nomment sense of humour et ma mère moins que quiconque, Axou !
     
    Après le repas, qu’ils prirent dans la chambre d’Adrienne, les amants se remirent au lit. La nuit venue, ils dînèrent d’un gigot d’agneau et de fromage frais, puis Adrienne expliqua qu’elle devait passer un moment chez sa mère.
     
    – Je serai absente deux ou trois heures, pas plus. Veux-tu que Zélia te tienne compagnie ou te conduise à la bibliothèque ? Ne t’avise pas de circuler seul dans le château, on ne retrouverait tes os blanchis que dans vingt ou trente ans !
     
    – Je ne tiens pas à assurer la relève de ce brave Pertinent, plaisanta Axel. J’irai t’attendre à la bibliothèque.
     
    Dès qu’Adriana eut disparu, Zélia se présenta. La jeune femme accepta de soulever son voile d’éternelle veuve et Axel revit son joli visage et ses yeux tristes.
     
    – Pourquoi êtes-vous venu ? demanda-t-elle, aussi inquiète que la veille quand elle l’avait accueilli.
     
    – Je suis curieux, Zélia, et j’avais envie de voir Adrienne dans son château.
     
    – Ce n’est pas bien, d’être venu. Ce n’est pas un lieu pour vous, insista-t-elle.
     
    – Pourquoi, grands dieux ? Ce château est superbe, la contrée magnifique, j’ai rencontré Zichy de Tilna, le grand chef des Zigeuner, et j’ai fait, ce matin, la connaissance de saint Pertinent. Il m’a même honoré d’un gracieux mouvement du pied ! Alors !
     
    – Taisez-vous ! Lazlo m’a raconté l’affaire. N’en parlez à personne, je vous en conjure. De grands malheurs pourraient arriver !
     
    Après un silence, Zélia reprit :
     
    – Maintenant, vous ne croyez plus aux vertus du médaillon de saint Pertinent ?
     
    Axel ouvrit sa chemise, montra la médaille à tête de mort suspendue à son cou.
     
    – Elle ne m’a pas quitté depuis que vous me l’avez laissée à Genève. J’ai des raisons pour douter de saint Pertinent, mais je ne doute pas de votre sollicitude, Zélia. Vos pensées me paraissent une meilleure protection que celles, très incertaines, d’un douteux squelette !
     
    La Tsigane se pencha brusquement pour lui embrasser la main. Axel sentit la tiédeur des larmes de la jeune fille. Il lui releva la tête et baisa ses lèvres.
     
    – Je vous suivrai jusqu’en enfer, dit-elle avec fougue.
     
    – Nous ne serons pas seuls. Mon ami Chantenoz a déjà pris pareil engagement ! Pour l’instant, précédez-moi jusqu’à la