Rive-Reine
météorologique, non pour colère luciférienne ! C’est pourquoi le lac Léman n’héberge pas de monstre, comme le loch Ness, bien qu’un Vaudois puisse, à l’occasion, boire comme un Écossais ! Ivre, l’insulaire craint la rencontre d’un batracien préhistorique, le Vaudois ne redoute que l’accueil de sa femme !
Axel eut tôt fait de comprendre que l’enfer de Koriska n’était qu’une fonderie de métaux précieux. À dix mètres de profondeur, sans doute dans le sous-sol d’une tour, débarrassée sur trois niveaux de ses planchers, des hommes, à demi nus, s’affairaient autour de creusets et de lingotières. D’autres, penchés sur des établis, retiraient, au moyen d’outils, les pierres précieuses qui décoraient coupes, vases, nacelles, ciboires, ostensoirs, mitres et crosses d’évêque, colliers, bagues, bracelets. Ils jetaient les gemmes dans des boîtes, alors que les objets d’or, d’argent ou de platine, dépouillés de leurs ornements scintillants, allaient à d’autres ouvriers. Armés de lourds marteaux, ces derniers les triaient, puis les brisaient avant de les plonger dans des creusets, que surveillaient des hommes qui portaient tablier et masque de cuir. Les foyers, entretenus par des garçons plus jeunes, dégageaient l’âcre odeur du charbon en combustion. Axel, ébloui, vit l’or en fusion couler, telle une pâte incandescente, dans des moules enduits au pinceau d’une sorte de graisse destinée à faciliter le démoulage. Les lingots démoulés, refroidis dans un bain d’eau, examinés et pesés par des moines, étaient ensuite estampillés, puis strictement empilés dans une cage de fer. Au milieu de l’atelier, des objets de toute sorte, entassés dans un somptueux bric-à-brac, à même le sol de terre battue, attendaient de passer à la fonte. Cette louche manufacture ne fonctionnait que de nuit, car, au jour, les fumées eussent trahi ces travaux singuliers.
Quand il fut rassasié de ce spectacle insolite, Axel examina plus attentivement le bâtiment. Ce qu’il avait pris pour un balcon était une étroite galerie circulaire, à laquelle on accédait par la porte interdite. Elle surplombait l’atelier aux parois de pierres lisses, noircies par les fumées, mais aucun escalier, aucune échelle ne permettait de descendre dans la fosse aux trésors. Les hommes employés à la fonderie ne devaient sortir de leur antre que hissés par le palan qui servait à descendre, dans un panier de fer, les objets promis aux creusets.
Axel en avait assez vu. Il jugea qu’il était temps de regagner la bibliothèque afin de ne pas mettre Zélia en mauvaise posture face à Zichy, dont il connaissait maintenant la coupable industrie et évaluait la puissance.
Ayant remis le fond de l’armoire en place, il retrouva sans trop de difficultés le chemin de la bibliothèque. Alors qu’il consultait un traité sur l’art oratoire d’Hermogène, grand rhéteur contemporain de Marc Aurèle, dans une édition de 1614, qui eût fait se pâmer Chantenoz, il vit entrer Adrienne.
– J’en ai terminé plus tôt que je pensais. Laisse ces vieux livres et allons nous coucher, minauda-t-elle en approchant.
Un flamboiement révélateur illuminait son regard vairon. Axel l’arrêta d’un geste.
– Un instant, je te prie. J’ai à te parler sérieusement. Or, au lit, ce n’est guère possible ! Assieds-toi, dit-il en lui désignant un fauteuil de bois, par-delà la table où reposait le livre.
– Holà ! holà ! quel regard sévère ! Qu’ai-je fait de mal, s’il te plaît ?
– L’inventaire de tes turpitudes passées prendrait trop de temps, aussi, je ne veux considérer que le présent. Je viens de découvrir que tes moines, au demeurant peu chrétiens, sont en fait des métallurgistes ! La fonderie d’or de ta chère maman Bulebassa vaut, à mon avis, celle de la Banque d’Angleterre !
– Comment ? Comment as-tu pu savoir ? Qui t’a conduit en bas ?… Zélia ?
– Zélia est étrangère à cette affaire. Je n’ai eu besoin de personne pour voir du haut d’un œil-de-bœuf, bien dissimulé, l’atelier de la tour, dit Axel.
Il raconta, afin qu’aucun soupçon ne pût peser sur Zélia, pourquoi, dès son arrivée au château, il avait été intrigué par une certaine porte et comment il avait percé le mystère de la fonderie.
– C’est un secret que tu feras bien de garder pour
Weitere Kostenlose Bücher