Rive-Reine
enfermant le moine à double tour. Tandis qu’il errait dans le labyrinthe des corridors à la recherche d’une issue, il entendit des voix de femmes et vit sortir d’une chambre deux des odalisques qu’il avait remarquées, le soir de son arrivée, chez la mère d’Adriana. Il attendit qu’elles se fussent éloignées et pénétra dans la pièce qu’elles venaient de quitter, espérant y trouver un de ces manteaux de loup dont il avait pu apprécier la veille le confort. Il dut se contenter d’une couverture de fourrure blanche, qu’il fendit d’un coup de dague et enfila, tel un poncho. Au passage, une psyché lui renvoya son image. En d’autres circonstances, cela l’eût fait sourire.
Comme il désespérait de trouver seul le chemin de la sortie, le hasard vint à son secours. Les deux femmes dont il avait visité la chambre, maintenant bottées, vêtues et coiffées de fourrure, descendaient un escalier en caquetant. « C’est l’heure de la promenade », se dit Axel, qui décida de les suivre. Elles le conduisirent, en effet, à la porte qui donnait sur l’étroite cour pavée d’où il était parti, la veille, avec Adrienne pour la visite à saint Pertinent. La neige, le froid intense, le ciel blanchâtre, posé tel un épais linceul sur les hautes murailles noires et rugueuses, conféraient au lieu une ambiance troublante et sinistre. Les nymphes de Koriska semblaient insensibles à cet environnement angoissant. Emmitouflées dans leur fourrure, elles riaient en descendant les marches du perron pour se diriger vers une troïka. Dès que les femmes furent montées dans le traîneau, le cocher s’approcha des chevaux pour les débarrasser des couvertures qui les protégeaient. C’est alors qu’Axel choisit d’agir. Il fit en courant le tour de l’attelage, sauta sur le siège du conducteur, saisit les rênes, fit claquer le fouet et, avant que le cocher fût revenu de sa surprise, lança la troïka sur la neige crissante. Ses passagères mirent un certain temps à comprendre ce qui arrivait. Elles poussèrent d’abord des cris d’orfraie, puis prirent le parti de rire.
– Comment va-t-on au village ? demanda Axel en se retournant vers elles, car il craignait de tourner en rond dans l’immense parc.
Tout de suite, elles reconnurent dans leur ravisseur l’homme qui, deux jours plus tôt, avait rendu visite à Zichy. Cette découverte redoubla leur hilarité et leur caquetage. Axel, supposant qu’elles comprenaient le français, répéta sa question sur un ton plus ferme.
– On ne doit pas sortir du parc, Monsieur l’Étranger, c’est défendu, dit l’une.
– Et, si on avait le droit de sortir, par où sortirait-on, madame ? dit Axel, aimable.
Les odalisques rirent de plus belle. Elles trouvaient drôle ce beau garçon vêtu, Dieu sait pourquoi et par qui, d’une cape de zibeline semblable à la couverture dans laquelle elles s’endormaient nues après ces batifolages voluptueux que les hommes, lourdauds et impatients, sont incapables d’apprécier !
– Le village est à droite, en bas, dans la vallée. À la sortie du bois, vous verrez fumer les cheminées, dit une des femmes.
Dès qu’il eut repéré l’agglomération, Axel se mit en quête d’une brèche dans la clôture. Il en trouva une, obstruée par une palissade. Il ralentit les chevaux et, quand l’attelage s’immobilisa, mit pied à terre.
– C’est l’ancien sentier du meunier, dirent en chœur les amies de Zichy.
Le Vaudois n’eut aucun mal à abattre les planches et renverser les pieux qui interdisaient le passage. Les dames, telles des gamines, saluèrent à grands cris joyeux et admiratifs ce qu’elles prirent pour une performance physique.
Aussitôt le fugitif décida de piquer sur la pente à travers champs. Il se tourna vers ses aimables compagnes.
– Je vais emprunter un cheval au Bulebassa. Deux suffiront, mesdames, pour vous ramener au château, dit-il.
Il détela le cheval de flèche et, au grand ébahissement des dames, fit faire demi-tour au traîneau.
– Oh ! non ! Restez avec nous, venez avec nous ! Nous sommes gentilles, on va bien s’amuser ensemble, cria une femme.
– Oui, restez, on vous prendra chez nous ! Nous vous cacherons ! Vous serez bien, avec nous ! promit l’autre, implorante.
Axel leur envoya à toutes deux un baiser du bout des doigts et fouetta les chevaux, qui
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