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Rive-Reine

Rive-Reine

Titel: Rive-Reine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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son mari, garde pontifical. Axel le conservait comme relique de son premier amour et symbole de son premier chagrin. Le cahier à couverture noire, son Registre des rancunes , inventaire de ses ressentiments, où il n’avait rien écrit depuis longtemps, reposait sous une pile de chemises, avec un portrait miniature de Janet Moore, don de la jeune fille à l’époque où il courait avec elle les musées de Londres. Seul le hussard à cheval, autre don de Tignasse, à l’occasion d’un 1 er  janvier déjà lointain, était exposé aux regards, au chevet de son lit. Depuis la révélation de l’adultère maternel, ce soldat de fer-blanc, à l’uniforme bigarré, était sorti de l’anonymat du jouet. Axel voyait en lui Blaise de Fontsalte, le séducteur de sa mère. Tignasse savait-elle déjà, en faisant ce cadeau à l’enfant qu’elle initierait plus tard au plaisir défendu, qu’elle offrait à un fils adultérin l’effigie caricaturale d’un père inconnu ?
     
    Axel, agitant des pensées mélancoliques ou déplaisantes, quitta la fenêtre et se dirigea vers le fauteuil où il se tenait, pour lire ou étudier, près de la cheminée. Au passage, une grande glace au cadre tarabiscoté lui renvoya son image. Lui, qui ne s’observait qu’au moment de la toilette ou pour ajuster sa cravate, se planta devant le miroir et considéra un moment son reflet. Au mois d’avril suivant, il aurait dix-neuf ans. Traits nets et réguliers, menton carré, maxillaires puissants, nez fort et courbe, pommettes hautes, son visage reflétait un tempérament volontaire, une virilité combative, aussi, une certaine sévérité. Il possédait déjà sa pleine stature d’homme et devait se raser chaque jour. Il pensait même avoir atteint sa taille définitive, près de six pieds, mais ne parvenait pas à discipliner ses cheveux bruns et drus aux boucles serrées. Cette toison, que toutes les femmes trouvaient admirable, lui déplaisait. Elle ressemblait de plus en plus à celle du marquis de Fontsalte, son père de sang ! Quant à son regard bicolore, il avait appris à en jouer auprès des femmes. La veille, il s’était rendu sur la place, près de l’église Saint-Jean-et-Saint-Paul, que les Vénitiens nomment en une mélodieuse contraction San Zanipolo, pour découvrir la statue équestre de Colleoni, réputé avoir eu l’œil vairon comme Alexandre le Grand ! Il avait trouvé au condottiere la bouche amère et l’air intraitable des grands aventuriers, mais Leopardi n’avait fondu dans le bronze que le regard vide et cruel, voulu par Verrocchio. Au cours des siècles, la Suisse avait compté trop de mercenaires de ce type pour que le Vaudois admirât l’Italien qui, en 1475, avait légué sa fortune à Venise, en échange d’une statue propre à défier le temps.
     
    En se détournant du miroir, Axel se souvint d’une phrase, souvent lancée par Polline, la vieille bonne des Métaz, quand elle surprenait Blandine s’examinant avec complaisance devant une glace : « Un jour, tu verras sortir le diable ! » disait-elle à l’enfant, jugée trop coquette. Les souvenirs de l’heureux temps de son enfance à Rive-Reine revenaient à la mémoire du Veveysan, comme s’il se fût agi du souvenir d’images familières illustrant des contes lus et relus. Et, comme les contes, ce passé lui paraissait à la fois imaginaire et merveilleux.
     

    S’il oubliait parfois, pendant quelques heures, la vraie raison de sa présence à Venise, Axel ne souhaitait pas l’éluder. La lettre de son père, la pluie froide, la brume de novembre qui pénétrait les ruelles et rendait flous les contours des toits voisins le rappelèrent à sa quête inavouée. Au théâtre, au café Florian, dans les restaurants, au cours des promenades, à l’heure du concert que donnaient les militaires occupants place Saint-Marc, il ne faisait qu’observer les yeux des femmes, surtout ceux des brunes accompagnées d’étrangers, d’officiers ou de fonctionnaires autrichiens. Ayant improvisé très arbitrairement le signalement de la fille de Blaise de Fontsalte, il se croyait capable d’identifier cette mystérieuse Adrienne. Le climat sulfureux de Venise influençant, sans qu’il y prît garde, son imagination, Axel voyait en sa demi-sœur inconnue son double féminin. La similitude, proclamée par Fontsalte, de leurs regards vairons équivalait, pour le garçon, à une sorte de gémellité artificieuse. Adrienne ou Adriana

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