Rive-Reine
fièrement le nom, les applaudissements crépitèrent.
Seuls M. Laviron et sa fille embarquèrent, avec Axel, Flora Baldini et le général Ribeyre. Les Fontsalte, hôtes attentionnés, restaient à terre avec M me Laviron qu’ils conduiraient, par la route, à Vevey. Entre Genève et Ouchy, Anaïs avait éprouvé sur le Guillaume-Tell assez de nausées pour être dispensée de la croisière inaugurale.
Tandis que le commandant faisait aux dames les honneurs du bateau et comptait les stères de bois de chauffe empilés autour de la haute cheminée noire, d’où sortait une âcre fumée, M. Laviron invita Axel à s’asseoir près de lui, dans le salon où l’on servait des rafraîchissements.
Pierre-Antoine Laviron ne dissimula pas longtemps sa méchante humeur. Axel avait d’ailleurs remarqué, depuis le matin, que la raie médiane qui partageait d’ordinaire d’un tracé rectiligne les cheveux du banquier en deux bandeaux plaqués et lustrés sinuait pour la première fois. Cela venait de ce que M. Laviron avait reçu, la veille, une lettre du directeur de la banque parisienne associée de Cottier-Laviron. Le Français informait son confrère et ami des écarts d’Anicet Laviron, artiste peintre, qui, au bord de la Seine, se faisait appeler modestement Cinna Liron ! Déjà furieux que son fils eût choisi comme pseudonyme le nom d’un conspirateur romain, M. Laviron avait atteint, à la lecture du rapport de son associé, le comble de l’indignation. Il tenait à faire part de son contenu à Métaz.
– Cher Axel, les extravagances de mon fils sont inqualifiables ! On me rapporte que, depuis qu’il est installé à Paris, il a décidé de jouir pleinement des droits d’une majorité qu’il n’avait, jusque-là, bien qu’âgé de vingt-trois ans, jamais revendiquée. Elle lui donne naturellement pleine propriété des biens, terres et immeubles que lui a laissés en propre sa grand-mère maternelle. Or il abuse de toutes les manières, et, financièrement parlant, cela s’entend, de sa liberté d’action, pour souscrire des emprunts à des taux usuraires et pour des sommes élevées. De plus, il se loge somptuairement en signant des baux exorbitants.
Un peu gêné d’être pris, une fois de plus, pour confident d’un conflit entre le père et le fils Laviron, Axel tenta vainement d’éluder la suite.
– Écoutez ceci, dit Laviron sans l’entendre, en brandissant le rapport du Parisien.
L’émoi du banquier était tel qu’il eut du mal à pincer son lorgnon sur son nez. Axel vit la feuille de papier vibrer dans sa main.
– Voilà ce que cet ami m’écrit, et je suis bien certain qu’il ne révèle que ce qui ne peut demeurer longtemps ignoré de moi. Le 16 mars, Anicet a souscrit, au profit d’une dame veuve Policart, à Clichy, une reconnaissance de dette de quinze mille francs de France, payable le 16 juillet, c’est-à-dire demain, contre remise d’un capital de treize mille cinq cents francs seulement, soit au taux de 10 pour cent. Il a aussi, par l’intermédiaire d’un sieur Tournebaille, agent d’affaires à Paris, souscrit en l’étude de M e Laval-Duparc, notaire à Vichy – pourquoi Vichy, hein, qui le sait ! – une obligation hypothécaire au capital de cent mille francs. Il a payé à ce Tournebaille, qui l’a vu venir, une commission de cinq mille francs, réglée en un billet à ordre échu à la fin du mois dernier ! Et ce n’est pas tout ! Il voulait, toujours par l’intermédiaire de Tournebaille, souscrire un autre emprunt hypothécaire de cinquante mille francs, chez un notaire de Compiègne. Pourquoi Compiègne ? Hein ! Pourquoi Compiègne, qui le sait ! Cette affaire a, heureusement, échoué grâce à notre banque de Paris, dont le directeur, qui m’écrit cette lettre, a fini par s’émouvoir quand le notaire de Compiègne s’est enquis de la solvabilité d’Anicet ! Enfin, par ce même ami, j’apprends que Monsieur a loué, à Mayfair – hein, pourquoi Londres, où nous étions avec lui en automne dernier ? – un appartement moyennant un loyer de trois cents livres par an, et ce sous un faux nom ! Paraît qu’il veut étudier les œuvres d’un certain Hogarth qui peignait, il y a cent ans, à ce qu’on m’a dit, des mendiants, des ivrognes, des étals de boucher, des paniers de crevettes et des libertins ! Et naturellement, je me doute qu’il y a de la femme derrière tout ça. Je
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