Rive-Reine
et le sectarisme religieux.
James Fazy entendait aller plus vite et plus loin. Il souhaitait une transformation radicale de la société. Pour cela, il fallait accéder au pouvoir porté par une majorité nouvelle. Séduire les électeurs demandait de l’habileté et de l’obstination dans une ville où l’on se méfie des beaux parleurs et des promesses. Comme ce politicien nanti comptait s’appuyer sur les habitants des quartiers populaires, Saint-Gervais notamment, pour soutenir la liste de ses candidats à l’élection au Conseil représentatif prévue en août, il proclama que les Genevois modestes méritaient d’être mieux logés. Et, pour montrer qu’il ne s’agissait pas d’une formule creuse, il fonda aussitôt la Société des Bergues, « pour le développement et l’embellissement de la ville », avec, pour premier objectif, la création d’un quartier neuf sur des terrains appartenant aux Fazy, au bord du Rhône, en face de l’île aux Barques, qu’on envisageait de dédier à Jean-Jacques Rousseau en la reliant, par un pont, au quai des Bergues.
Pierre-Antoine Laviron, attentif à une fermentation politique de nature à influencer les affaires, avait confié à Axel Métaz que le fonds social de l’entreprise fondée par Fazy, et dont le politicien restait le principal actionnaire, atteignait 1 600 000 florins.
Cette activité nouvelle de promoteur immobilier n’empêchait pas James Fazy d’écrire, mais sa pièce de théâtre la Mort de Lévrier, tragédie nationale , apologie d’Amé Lévrier 11 , héros de l’indépendance genevoise, venait d’être interdite, les censeurs ayant relevé des « allusions politiques déplaisantes » !
Le soir du 5 mai, avant de quitter Genève, Axel accompagna Juliane Laviron au concert de la Société de musique, donné au profit des malheureux Grecs. Il s’agissait, à l’initiative du comité philhellène genevois, de réunir des fonds pour racheter aux Turcs et aux Égyptiens les chrétiens enlevés à Missolonghi et livrés aux marchands d’esclaves.
Au cours de cette soirée de bienfaisance, les auditeurs entendirent une symphonie de Haydn, des airs de Sémiramis , de Rossini, le duo de la Dame blanche , de Boieldieu, et une création, Chant des Grecs pour Missolonghi , dont les paroles, signées Charles M. Didier 12 , stigmatisaient la barbarie turque :
Gorgé de meurtre et de rapine
Le Turc a chargé ses esquifs.
Ses conquêtes sont nos ruines,
Nos cadavres sont ses captifs.
[…]
Les Suisses voient en vous des frères,
Reconnaissez leurs soins touchants.
Voici des armes pour les pères,
Voici du pain pour les enfants.
– Les puissances européennes se sont clairement déshonorées dans cette affaire. Elles portent la responsabilité de massacres qu’elles auraient pu empêcher. Il suffisait que les membres de la Sainte-Alliance fissent les gros yeux pour que Turcs et Égyptiens se tinssent tranquilles et que l’indépendance de la Grèce fût établie, reconnue et garantie, dit Axel.
– Et pourquoi les monarques étrangers n’ont-ils pas agi, selon vous ? demanda Juliane, tandis que son cavalier la raccompagnait rue des Granges.
– Par lâcheté ou intérêt stratégique, Juliane. Metternich était hostile, dès le départ, à une insurrection grecque qui pouvait, si on s’en mêlait, déranger toute l’Europe. Au congrès de Vérone, en 1822, le tsar Alexandre I er était du même avis. Il estimait qu’il valait mieux laisser les Grecs vider seuls leur querelle avec les Ottomans. Le Corfiote Capo d’Istria, à qui les Vaudois doivent de ne pas être retombés sous la férule bernoise, lors du congrès de Vienne, connaît maintenant la disgrâce. Cet ancien ministre des Affaires étrangères du tsar, qui lutte depuis trois ans pour l’indépendance de son pays, ne peut même pas compter sur Pozzo di Borgo, qui l’a remplacé auprès d’Alexandre. Et tout le monde a suivi Russes et Autrichiens. Les Anglais par intérêt mercantile, les Français par prudente solidarité avec les puissances qui ont vaincu Napoléon et rétabli les Bourbons sur le trône.
– Finalement, ce sont les Suisses qui se sont montrés les plus audacieux et les meilleurs défenseurs des Grecs, dans cette affaire, observa la jeune fille.
– C’est exact, et c’est la générosité première des Genevois qui a entraîné la fondation de comités philhellènes à Paris, à
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