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Rive-Reine

Rive-Reine

Titel: Rive-Reine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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ce qui s’est passé. Tandis que la garde et ma mère bavardaient avec une dame de leur connaissance, à trois pas de Nadette, alors adossée à la rambarde, ce passager, qui, de son propre aveu, avait remarqué cette belle fille, a vu notre pauvre amie ôter l’écharpe qu’elle portait nouée sous le menton et qui retenait son chapeau de paille, s’en entourer les genoux et la nouer comme pour serrer sa robe autour de ses jambes. Intrigué, l’homme continuait à observer Nadette. C’est alors qu’il l’a vue se hisser sur la rambarde, s’y asseoir et basculer en arrière dans le lac. Il a aussitôt donné l’alerte, sur le pont et à la passerelle. Le capitaine a stoppé le bateau, n’osant mettre les roues à aubes en marche arrière, de crainte de blesser la femme tombée au lac. Une heure durant, les passagers, penchés au bastingage, ont tenté d’apercevoir un corps dans l’eau. Des matelots, à bord du naviot, et des pêcheurs, qui s’étaient approchés en croyant le vapeur en panne, ont fait des ronds jusqu’à la nuit. Ils n’ont repêché que le chapeau de Nadette qui flottait sur l’eau. Elle a coulé à pic, mon petit vieux, à pic pour rejoindre Nadine !
     
    Vuippens se détourna pour cacher ses larmes.
     
    Axel quitta son fauteuil et vint poser une main fraternelle sur l’épaule du médecin.
     
    – Tu crois qu’elle s’est attaché les jambes pour ne pas être tentée de réagir à l’instinct de conservation ? dit-il.
     
    – Ce qui tend à prouver qu’elle a peut-être été, soudain, rendue à elle-même, à la réalité, et qu’elle a choisi la mort. Et pourtant, Axel, je l’aimais, je t’assure, je l’aimais. Je l’aurais gardée près de moi toute la vie, telle qu’elle était ! Certains soirs, quand je lisais au coin du feu, alors qu’assise en face de moi elle regardait en souriant aux anges les flammes danser dans la cheminée, j’en arrivais presque à me dire heureux. Si la loi ne l’avait pas interdit, je l’aurais épousée. Pour la protéger, la soigner, veiller sur ce reste de vie végétative qui subsistait en elle.
     
    Axel attendit que son ami émergeât de ce chagrin, dont il était le seul à pouvoir apprécier la pureté et la profondeur.
     
    – Je comprends ce que tu ressens, Louis, mais tu dois te ressaisir. Nadette a rejoint Nadine, qui était bien au monde l’être qu’elle préférait. Nous garderons ensemble le souvenir des jolies jumelles qui ont partagé nos jeux, nos baignades, nos parties de pêche…
     
    – Certes, tu as raison, Axel. Mais, si bizarre que cela puisse paraître, c’est dur de vivre sans elle. Nadette, vois-tu, m’a été enlevée deux fois. D’abord par un homme, qui ne la méritait pas, ensuite par la mort, qui la convoitait depuis qu’elle avait pris Nadine.
     
    Quand Pernette vint annoncer que le souper était servi, les deux amis passèrent à table sans entrain. Longtemps, ce soir-là, ils évoquèrent les jours heureux passés avec les Ruty, bien persuadés, l’un et l’autre, que les morts survivent sur les lèvres des vivants.
     
    Le lendemain, le rapport que fit Samuel Fornaz, successeur de Simon Blanchod, sur l’état du vignoble rassura Axel. Le grain, jusque-là épargné par les orages de grêle et les parasites, mûrissait dans les meilleures conditions. La terre, nourrice fidèle, et les deux soleils de Lavaux, celui du ciel et celui reflété par le miroir du Léman, remplissaient leur office. La vendange s’annonçait abondante et précoce.
     
    En revanche, un concurrent d’importance venait de surgir sur le marché du chocolat. Charles-Amédée et Frédéric Kohler lançaient en effet sur le marché un chocolat fin, qu’ils fabriquaient au moulin de Bramafan 2 , rue du Petit-Saint-Jean, à Lausanne.
     
    Les Kohler, originaires de Büren-sur-Aar, étaient arrivés vers 1770 au pays de Vaud où le chef de famille, Gottlieb-Amédée, avait ouvert, 3, rue du Grand-Saint-Jean, à Lausanne, une boutique où l’on trouvait un grand choix de denrées exotiques en provenance des colonies anglaises et françaises. L’affaire se développant, Kohler s’était élevé jusqu’au grand négoce en faisant commerce de fromages, de vins et de produits cantonaux, qu’il expédiait vers Neuchâtel, par le canal dit d’Entreroches ou d’Yverdon. Creusé en 1640, ce dernier reliait Cossonay, sur la Venoge, au lac de Neuchâtel. Depuis que l’aqueduc du Talent, gros ruisseau du Jorat,

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