Rive-Reine
bouclés et gras lui donnaient l’air d’un corsaire récemment débarqué.
– Je vois que tu as fait une longue route. D’où viens-tu et que m’annonces-tu ? dit Axel, affable.
Le Tsigane prit le temps de vider son verre en se retenant visiblement de boire trop vite. Axel le servit à nouveau et, comme l’homme jetait un regard vers la panetière, Axel comprit qu’il devait avoir faim. Il tira un pain, trouva du beurre, de la viande séchée et, connaissant les façons de Lazlo, qui ne parlait jamais en mangeant, attendit que le rustre visiteur se fût restauré avec application.
La collation engloutie, le Tsigane ratissa de la paume droite les miettes de pain répandues sur la table, les fit glisser dans sa main gauche et les avala avant de vider à nouveau son verre. C’était sa manière courtoise de faire le ménage pour ne rien laisser qui pût offusquer la vue du maître de maison.
– Alors, quelles bonnes nouvelles m’apportes-tu ? demanda Axel sans cacher, cette fois, son impatience.
– Pas bonnes. Mauvaises, très mauvaises. Faut que tu lises ça d’abord, lettre pour toi, ajouta le Tsigane, qui tutoyait tout le monde, en tendant une enveloppe, sur laquelle le Vaudois reconnut aussitôt l’écriture d’Adrienne.
À l’aide de son couteau de vigneron, Axel fit, posément, sauter les cachets de cire, un peu intrigué par l’attitude de Lazlo, penché en avant, la tête dans les mains. Axel mit cela au compte de la fatigue, sans soupçonner que le Tsigane, sachant la teneur du message, en redoutait l’effet sur son destinataire.
Axel se mit à lire, avide, curieux mais serein, puis, progressant dans sa lecture, il sentit soudain croître son émotion, battre ses tempes. Une souffrance inconnue l’étreignit, le feuillet trembla dans sa main quand, incrédule, il relut le message d’Adriana.
Celui-ci commençait de façon sibylline par : « Point de date, l’éternité n’est pas le temps. »
Puis, au-dessous :
« Mon Axou,
» J’ai vécu, ces derniers jours, de ta pensée, du souvenir de ta passion mal dominée, moi qui n’en fus jamais digne. J’ai ressouvenance de ton dévouement à soutenir, pour me plaire, les folles, mais justes, causes que j’ai défendues. J’évalue ton indulgence pour mes égarements inexcusables, ton généreux oubli pour toutes les désillusions que je t’ai infligées. Je suis en union de pensée et de cœur avec toi.
» Car je vais mourir.
» Lundi je serai, comédienne dérisoire, à l’affiche de ce qu’on nomme ici le hanging match 9 de Newgate ! J’abandonne sans regret cette vie, dont j’ai épuisé tous les plaisirs et bravé tous les dangers. Elle ne pouvait être avec toi partagée. Mais je sais maintenant, alors que j’attends Calcraft, le bourreau de Londres, que je t’ai préféré, mon ami, mon frère, mon amant, à tous les hommes que j’ai connus.
» Mon messager te remettra une châtelaine de ma fabrication, faite de mes cheveux tressés. J’y ai suspendu une médaille d’or de saint Pertinent, notre saint de Koriska, plus vrai que tous les autres, puisqu’il est inventé ! C’est tout ce que j’ai pu dissimuler aux rapaces, avec le bouton arraché au dolman de notre père quand j’avais quatre ans, mon premier larcin monté en bague, que je te prie de lui rendre.
» Reçois mon dernier baiser. Adieu.
» Adrienne de Fontsalte,
» en la prison de Newgate. »
Axel demeura un instant sans voix, puis donna violemment du poing sur la table.
– Mais enfin, elle n’est pas morte ! Ce n’est pas possible ! Encore un de ses coups de tête, elle se moque ! s’écria-t-il, en plein désarroi.
Le Tsigane secoua la tête, puis la releva lentement, livrant au Vaudois son regard mouillé. Pressé de questions, il se mit à parler à voix basse, en italien, langue dans laquelle il s’exprimait plus aisément et qu’il savait comprise de son interlocuteur.
Adrienne avait été surprise par des agents anglais, chargés de la chasse aux espions, alors qu’elle recopiait un document « emprunté » sans permission à un représentant du Foreign Office. C’était pendant le congrès organisé à Londres pour régler la reconnaissance, par la Grande-Bretagne, l’Autriche et la Russie, de l’indépendance du royaume de Grèce. Lazlo expliqua qu’Adrienne renseignait un diplomate de la Sublime- Porte qui, en
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