Rive-Reine
l’observatoire de Genève serait, disait-on dans le milieu scientifique, le plus moderne d’Europe. On y verrait fonctionner la pendule la plus précise au monde, qui donnerait l’heure aux horloges publiques et, même, aux horlogers dans leur atelier. Pressé de revoir Rive-Reine, Axel se dispensa de rendre visite à son banquier et de manifester sa présence à Juliane Laviron. Il embarqua sur le Léman .
Depuis que les vapeurs assuraient un service régulier avec escale à Vevey, Axel Métaz avait obtenu la concession du radelage pour la station établie devant la place du Marché, que les Veveysans appelaient plus couramment la Grand-Place. Après un voyage sans aléas, par grand beau temps, Axel venait de prendre place dans la barque de radelage, quand un des bateliers, qui connaissait le fils Métaz depuis l’enfance, se pencha vers lui tout en tirant sur les avirons.
– Faut que je vous dise, monsieur, que le docteur Vuippens est venu, depuis trois jours, à tous les bateaux. Il m’a dit tout à l’heure : « Aujourd’hui j’ai des malades à visiter, je ne peux attendre le Léman , mais, si tu vois M. Axel, dis-lui que je serai chez lui à six heures. » Voilà la commission faite, monsieur, conclut le radeleur avant de se consacrer à la manœuvre d’atterrissage.
Ce que Louis Vuippens voulait être le premier à lui annoncer, Axel le sut par Pernette, dès qu’il eut passé le seuil de Rive-Reine.
– Un grand malheur qui est arrivé, pendant que vous étiez pas là, monsieur Axel. La Nadette s’est jetée au lac il y aura bientôt une semaine. On l’a pas encore retrouvée à ce jour. Paraît qu’elle l’aurait fait exprès ! dit la cuisinière avec émotion.
Comme Alexandra arrivait, joyeuse de retrouver son parrain, Axel ne posa pas de questions. Une heure plus tard, Louis, amaigri, le regard las, vint lui conter la fin de leur amie d’enfance, la douce démente. Au cours des derniers mois, le médecin avait tout tenté, sur les conseils de ses confrères genevois, pour ramener l’amnésique à la réalité. Tous s’étaient entendus pour dire : « Un choc l’a privée d’esprit et de mémoire, un autre choc peut les lui rendre. » Vuippens avait donc conduit la malade dans la maison des Ruty, où elle avait vécu, puis dans son propre logement de la rue du Collège et dans celui, voisin, de sa sœur Nadine, qui allait être vidé pour recevoir de nouveaux locataires.
– J’ai même pris le risque, pendant que tu étais absent, de la mettre en présence d’Alexandra, dit Louis. Ce fut une épreuve pour ta filleule, que j’avais tout de même préparée à cette rencontre en lui disant : « Ta tante est malade de la tête. Elle ne reconnaît personne, mais toi, peut-être, elle te reconnaîtra. Retiens-toi de pleurer et parle-lui avec naturel. » Alexandra fut parfaite. Une maîtrise de soi admirable, crois-moi, pour une gamine qui n’a pas dix ans. Eh bien ! rien, rien ! Nadette lui a caressé la tête comme elle caressait celle de mon chien. Enfin, j’ai tenté le tout pour le tout. J’ai emmené Nadette au cimetière, devant le tombeau où sont tous les siens. Rien encore. Elle a lu et même épelé les noms gravés sur le caveau. Même le vrai nom de sa sœur, Amandine, à laquelle elle s’adressait sans cesse dans les miroirs, n’a éveillé chez elle aucune émotion. Mais je me demande aujourd’hui s’il ne s’est pas produit chez elle un déclic, somme de ces expériences vaines, quand elle s’est retrouvée sur le lac…
– Sur le lac ! s’étonna Axel.
– Il y aura huit jours demain, la garde, qui se rend souvent à Villeneuve chez sa sœur, m’a proposé, comme elle l’avait déjà fait, d’emmener Nadette avec elle. Ce n’était pas la première fois qu’elles allaient ainsi, par le vapeur, jusqu’au fond du lac et cela sans que Nadette manifestât la moindre agitation. J’ai d’autant plus facilement accepté que ma mère était, ce jour-là, de la promenade.
Vuippens se tut, le regard vague, les maxillaires trémulants, comme si l’obligation d’avoir à rapporter le drame l’accablait.
– Et c’est au cours du trajet…, risqua Axel, pour encourager son ami à poursuivre.
– Oui. Pardon pour cette absence. Il faisait très beau, comme aujourd’hui, et tous les passagers étaient sur le pont, à prendre le soleil. C’est d’ailleurs par l’un d’eux qu’on a su
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