Rive-Reine
Vuippens avancèrent dans le corridor.
– C’est bien ici que M. Cinna Liron, l’artiste peintre, a son atelier ? demanda Axel.
– Au cinquième, oui, messieurs, mais il est mort. Ç’a été le premier d’ici. Ça fait presque deux semaines qu’on l’a enlevé. Là-haut, il n’y a plus personne.
– Mais sa sœur, qui était avec lui ? C’est elle qui a annoncé sa mort à ses parents. Nous venons de Genève pour l’assister. Où est-elle ? insista Métaz.
La femme resta silencieuse, regarda alternativement le médecin et son ami, puis repoussa la porte de sa loge avec l’intention de mettre fin à l’entretien.
– Parlez ! Je suis médecin. Où pouvons-nous trouver M lle Laviron ?
– Ceux du quartier, c’est au cimetière du Nord, au cimetière Montmartre si vous préférez, qu’on les met.
– Vous ne voulez pas dire que…
– Probable, mon pauvre monsieur ! La maladie l’avait prise aussi, depuis deux jours, quand le peintre a passé.
Axel s’appuya au chambranle, anéanti par ces mots.
– En tout cas, la nuit où on a emmené M. Liron, elle s’était démenée pour lui trouver un cercueil, je peux vous dire que la pauvre demoiselle, elle tenait à peine debout. Et je l’ai pas revue, compléta la concierge.
Vuippens, voyant Axel blême et presque chancelant, poussa la porte de la loge.
– On peut entrer un instant ? Mon ami est près de défaillir et j’ai des questions à vous poser, dit Louis avec autorité.
La femme ne pouvait s’opposer à ces deux étrangers. Elle leur indiqua des chaises et s’assit en face d’eux. Il suffisait de la laisser parler. C’est ainsi qu’Axel apprit que Juliane avait soigné son frère jour et nuit, fait venir les meilleurs médecins, alerté les autorités sanitaires.
– Vous pensez qu’ils ont rien pu faire. D’abord, y en a pas deux qui donnent les mêmes remèdes, souffla la femme.
– Et où sont les vêtements, les bagages, les papiers de M lle Laviron ? demanda Vuippens.
– Les habits du peintre et les siens, qu’étaient restés là-haut, tout a été brûlé. C’est la loi, maintenant ! dit la femme vivement.
– Mais les papiers, les bijoux, l’argent, les objets personnels ? Qui les a recueillis ? demanda Axel, retrouvant ses moyens.
– Oh ! ça, pour les papiers, les bijoux, l’argent et tout, c’est ceux qui portent les morts qui peuvent le dire. Mais, bien sûr, c’est des gens qu’on connaît pas. Vous pensez bien qu’ils se gênent pas pour se servir ! Allez savoir !
Tandis que la femme, dont la sincérité paraissait des plus douteuse aux deux amis, continuait d’évoquer le probable pillage de l’atelier d’Anicet, Axel reconnut, sur un buffet, une boîte à musique.
– Cet objet appartient à M lle Laviron. Comment est-il entré chez vous ? demanda-t-il sèchement.
– Ça ? Pensez donc, ça vient de chez ma mère, et faudrait pas me prendre pour une voleuse !
– Mais vous êtes une voleuse ! Car cette boîte à musique, c’est moi qui l’ai offerte à M lle Laviron en 1828, lors de l’Exposition de l’Industrie à Genève ! Je peux même vous dire l’air qu’elle joue et ce qui est écrit, en allemand, sur une étiquette collée sous la boîte ! Alors, vous voulez que j’aille chercher la police ?
Le visage de la concierge s’empourpra. Elle se leva rageusement et jeta la boîte au couvercle décoré d’edelweiss sur la table.
– Tenez, prenez-la, si vous la voulez ! Et allez-vous-en ! rugit la concierge.
– Trop simple, madame ! Nous ne partirons pas d’ici sans les bijoux, l’argent et les papiers de notre amie, dit Vuippens. Et, si vous ne les restituez pas sur-le-champ, Monsieur va rester ici pendant que j’irai chercher le commissaire du quartier, voire le comte d’Argout, le chef de la police sanitaire, ou même M. Gisquet, le préfet de police, dit posément Vuippens, au grand étonnement d’Axel.
La femme se mit à bredouiller.
– Mais j’ai pris que cette boîte, monsieur, je le jure. Quand la dame suisse est partie avec le mort, j’ai vu qu’elle avait à la main un sac de voyage. Donc, c’est pas ici qu’on a pris ses affaires. Elle m’a même donné ça, pour me remercier, dit la portière en ouvrant un tiroir d’où elle sortit trois pièces suisses de cinq francs, qu’elle posa sur la
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