Rive-Reine
table.
– Bien. Gardez votre bonne main, dit Axel en se levant.
– Peuh ! Cet argent-là, personne en veut, par ici, vous pouvez le prendre. Comme ça, on pourra pas dire…
– Le premier banquier venu vous donnera au moins cinquante francs français de vos trois pièces, dit Vuippens, abandonnant son siège pour suivre Axel.
Les deux amis quittèrent la loge, laissant la femme perplexe. Sur le trottoir, comme ils hésitaient sur la direction à prendre pour trouver un de ces petits cabriolets de louage que les Parisiens appelaient fiacre, Axel se laissa aller à son chagrin mêlé d’amertume.
– La mort poursuit celles qui m’aiment, Louis. Je dois être porteur d’une sorte de malédiction ! L’œil vairon, peut-être !
– Tu divagues, Axel. Ton regard n’est pour rien dans les drames survenus ces temps-ci.
– Adrienne et, maintenant, Juliane ! Et, pour Juliane, je suis en partie responsable ! reprit Métaz.
– Responsable ? Le choléra est, comme je le soutiens, une maladie très contagieuse. Tout ce qui est souillé, notamment par les déjections du cholérique, transporte le principe de la maladie. C’est pourquoi le mal infecte d’abord les proches du malade, ceux qui le soignent, changent son linge. Pourquoi crois-tu que la police fait brûler les vêtements des morts ?
– Mais je suis certain que c’est par dépit amoureux que Juliane est venue à Paris. J’aurais dû la retenir, lui dire que je tenais à elle, ne pas me conduire comme je me suis conduit avec son père. Elle a cru la rupture définitive parce que je n’allais plus rue des Granges ! Que sais-je, encore ! débita Métaz, en plein désarroi.
– Cesse de te tourmenter pour ça. Pense plutôt à l’épreuve qui nous attend : annoncer cette mort aux Laviron !
– Horrible tâche, en effet. Mais il faut savoir où sont enterrés le frère et la sœur. Tu connais, semble-t-il, le préfet de police dont tu as menacé la mégère. Il pourrait peut-être nous renseigner. Allons le voir ! dit Axel en arrêtant un fiacre.
– Je ne connais ni le chef de la police sanitaire ni ce préfet. J’ai simplement vu leur nom dans le journal. J’ai dit ça pour impressionner la femme, confessa Vuippens quand ils furent dans la voiture.
– Allons à la police sanitaire, alors ! dit Axel.
– Je connais, à Paris, un médecin qui est certainement très actif en ce moment, car c’est un homme courageux et plein de bonté : le docteur Wolowski.
Les deux amis passèrent des heures à enquêter et finirent par aboutir chez le Polonais, qui avait été pendant dix ans médecin-chef de la Société de bienfaisance de Varsovie. Ayant pris part à l’insurrection avortée de 1831, le praticien avait dû fuir la répression russe et s’était réfugié en France. Depuis le commencement de l’épidémie de choléra, le docteur Wolowski se dévouait aux malades et dirigeait un service d’urgence 6 . Par un de ses adjoints, Axel et Louis apprirent que le correspondant de Laviron-Cottier, de Genève, et des gens de l’ambassade de Suisse s’étaient chargés du frère et de la sœur. Ainsi, vingt-quatre heures après leur arrivée, les deux amis surent à quoi s’en tenir. Anicet Laviron, grâce à l’obstination de sa sœur, avait été enseveli décemment et son cercueil provisoirement déposé dans le caveau familial du représentant de la banque de son père. Quant à Juliane, terrassée à son tour par la maladie, elle était morte le lendemain des obsèques rudimentaires d’Anicet, dans une clinique privée. Maintenant, son corps reposait près de celui de son frère, en attendant que les autorités françaises autorisent le transfert des dépouilles à Genève et que les Suisses acceptent de les recevoir. Comme Axel s’inquiétait devant le banquier parisien des démarches à accomplir, bien décidé qu’il était, avec Louis Vuippens, à ne rentrer à Genève qu’avec les corps des Laviron, le Français l’assura qu’il se faisait fort d’obtenir, sous quelques jours, les papiers nécessaires au transfert. Des bières spéciales, adaptées au transport, c’est-à-dire intérieurement doublées de zinc, étaient en cours de fabrication.
– Reste à prévenir Pierre-Antoine Laviron du décès de sa fille ! dit Vuippens, qui, devant l’accablement d’Axel, prenait l’initiative.
– J’ai envoyé une dépêche il y a
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