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Rive-Reine

Rive-Reine

Titel: Rive-Reine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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place dans la voiture et Axel y monta à son tour, bien aise d’avoir un tel compagnon pour affronter l’épreuve qui l’attendait en France.
     

    Après un voyage rapide et sans aléas, les deux amis eurent d’abord le sentiment, en descendant de la diligence, place des Victoires, au centre de Paris, d’entrer dans une ville où la vie suivait son cours normal. Le ciel était d’un bleu limpide, l’air tiède, la circulation intense, les passants, comme toujours, pressés. Il en fut ainsi jusqu’à ce que le cabriolet de la Compagnie des Accélérés, qu’ils avaient loué pour se faire conduire à l’hôtel du Louvre, près du Théâtre-Français, fût arrêté à un carrefour par un étrange convoi. Un homme, battant, sur un tambour voilé de crêpe, la cadence funèbre et lancinante qui annonce le passage des morts, marchait devant une grande tapissière à rideaux noirs. Dans la rue, les messieurs se découvraient et les femmes se signaient. Le cocher du cabriolet ôta sa casquette et soupira.
     
    – Doit bien y en avoir une vingtaine, là-dedans ! On se demande quand est-ce que ce bon Dieu de démon sera rassasié ! lança-t-il.
     
    Quand le convoi fut passé, Vuippens fit parler le conducteur. L’homme expliqua que les menuisiers ne pouvaient pas fournir assez de bières, qu’on ramassait les morts dans des tapissières, même dans des chariots ordinaires, car les employés n’étaient plus assez nombreux pour accompagner les victimes du choléra jusqu’aux cimetières. Un peu plus loin, l’apparition d’un autre convoi mortuaire obligea le cabriolet à un nouvel arrêt.
     
    – Ceux-là s’en vont au cimetière du Sud. Ils s’arrêteront à Saint-Eustache, pour une bénédiction, car les curés suffiraient pas à la tâche pour dire des messes, vous pensez !
     
    – Et après, où les enterre-t-on ? demanda Axel.
     
    – On ne les enterre pas vraiment ! On n’a pas le temps. On les jette dans des fosses communes, et puis, quand il y a une couche de morts, on répand dessus une couche de chaux !
     
    – Mais les familles ? s’inquiéta Axel.
     
    – Les familles, monsieur, on leur donne un numéro. C’est le numéro du mort et on leur dit dans quelle fosse on a déposé leur parent. Voilà pour les familles, monsieur ! Sauf, comme toujours, pour les riches qui ont des caveaux. Mais y faut qu’ils se cachent, parce que la police dit que tous les morts du choléra doivent être mis dans la chaux vive, rapport à la puanteur, monsieur.
     
    Cette conversation emplit les deux amis d’inquiétude. Arrivés devant l’hôtel, ils demandèrent au cocher de les attendre pendant qu’ils déposaient leurs bagages. Ils voulaient se rendre au plus vite rue Saint-Georges.
     
    En remontant dans le cabriolet, Axel donna à l’homme l’adresse de l’atelier d’Anicet Laviron.
     
    – C’est dans la Nouvelle-Athènes, chez les artistes, mon bon monsieur. Il y en a eu, des morts, par là ! Plus qu’aux Tuileries, je vous le dis ! fit le cocher.
     
    Chemin faisant, les Vaudois virent d’étranges spectacles. Devant les maisons, on chargeait dans des charrettes des corps nus, enveloppés de draps, devant des femmes désolées et des enfants effarés. Dans les quartiers huppés, des militaires glissaient dans des fourgons d’artillerie des morts recommandés ! Des prêtres, précédés d’enfants de chœur portant la croix et agitant des clochettes, livraient le viatique à des mourants. On les interpellait des fenêtres : « Par ici, par ici ! Vite, apportez le bon Dieu, il (ou elle) va passer ! » Des sœurs de charité aspergeaient de fleur de soufre le seuil de leur couvent surpeuplé, contaminé par ceux qui, venus quêter des soins, y mouraient avant d’être admis. Des soldats brûlaient, à même la chaussée, des vêtements souillés ; des cantonniers curaient les caniveaux et les fontaines, car le bruit courait qu’on avait empoisonné l’eau.
     
    Axel se taisait ; assailli par de douloureux pressentiments, Vuippens notait sur un calepin ses observations. Qu’allaient-ils trouver rue Saint-Georges ? Le cabriolet s’arrêta devant un bel immeuble neuf, dont le dernier étage était éclairé par de hautes verrières : l’atelier du peintre. Le cocher refusa d’attendre les visiteurs.
     
    – Je veux pas moisir ici. Il y a eu des morts, dans cette maison, dit-il en encaissant le prix de la course.
     
    La portière apparut dès qu’Axel et

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