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Rive-Reine

Rive-Reine

Titel: Rive-Reine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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frac noir, son jabot de dentelle, sa canne à pommeau d’or. À trente-sept ans, ce professeur de dogmatique et de morale à l’Académie de Genève, orateur exceptionnel, était qualifié par certains de « caractère antique ». Ce qui devait être pris comme un compliment !
     
    Des bureaux de banque de la rue de la Cité sortaient, aux douze coups de la Clémence, grosse cloche de Saint-Pierre, les employés, strictement vêtus, certains avec recherche. Ceux-ci allaient dans les rues avec la gravité souriante propre à inspirer aux clients la confiance que requièrent les métiers de l’argent. Et cela leur réussissait ! M. de Rothschild ne venait-il pas de dire qu’il ne recruterait désormais, pour sa banque, que des employés genevois dont le sérieux, l’honnêteté, les compétences et la présentation lui paraissaient exemplaires ?
     
    La mode masculine était aux vêtements d’inspiration anglaise : carrick, spencer, redingote de serge, pantalon de piqué, cravate blanche, guêtres, chapeau de castor. Les dames de la ville haute attendaient plutôt de Paris que de Londres l’inspiration pour leur toilette. Les plus audacieuses arboraient des chapeaux en satin et des châles en cachemire à palmettes multicolores ou, la saison étant précoce, des capotes de paille de riz et des robes aux manches bouffantes et serrées à la taille par un large ruban. Mais la rigueur protestante conduisait toutes les belles à éviter spontanément les couleurs vives, les décolletés profonds et à exiger de leur couturière une interprétation édulcorée et sobre des modèles remarqués dans le Petit Courrier des dames qu’apportaient de Paris, à quelques abonnées, les postillons des diligences.
     
    Négociants et commerçants aisés se donnaient volontiers des airs de bourgeois, les bijoutiers à la mode usaient des manières de grands seigneurs envers une clientèle étrangère attirée par le renom de la Fabrique de Genève, les hôteliers dépensaient pour introduire dans leurs établissements de nouveaux éléments de confort. D’habiles couturières copiaient, sur celles des dames de la ville haute, les robes des épouses, souvent jolies, en tout cas fraîches, pimpantes et modestes, de ces citoyens entreprenants. Les sous-produits de la mode parisienne inspiraient à leur tour les toilettes des femmes de plus modeste condition, qui cousaient elles-mêmes leurs vêtements.
     
    Le Genevois, souvent d’une taille supérieure à la moyenne européenne, se targuait d’une saine constitution, même si le docteur Senn trouvait la race genevoise « abâtardie » et déplorait que « la médecine sauve maintenant des êtres chétifs qui devraient mourir ». Courageux, ayant l’amour du travail et le sens de l’honneur, le citoyen se voulait de bon sens, maître de ses humeurs et de ses réactions, ce qui ne l’empêchait pas, quand la cause paraissait juste ou la liberté en danger, de s’enflammer et de descendre dans la rue, un bâton à la main.
     
    Dans les relations quotidiennes, on décelait chez lui un peu du flegme britannique, de la bonhomie rugueuse de l’Allemand, une certaine propension à copier la légèreté française dans le vocabulaire, avec un rien de désinvolture latine. Poli par la fréquentation des étrangers et l’habitude des voyages, le Genevois ne manquait ni d’aisance ni d’assurance.
     
    Tout cela, Axel Métaz le vérifia en quelques jours, au cours de ses promenades dans la ville, de ses incursions dans les restaurants et les tavernes, au théâtre et au Cercle de la Rive, où il fut aussitôt admis comme fils de Guillaume Métaz, membre fondateur du club.
     

    Un matin, alors que se succédaient les giboulées de mars, ce qui n’incitait guère à la flânerie, Axel se décida enfin à accomplir la dernière partie de la mission que lui avait confiée Adrienne. Il prit, sous l’averse, le chemin du café Papon.
     
    L’établissement était situé sur la Treille, la plus ancienne promenade de Genève, puisque les érudits genevois faisaient remonter sa création au 20 juin 1516. Ce jour-là, en effet, la communauté genevoise avait acheté, pour vingt florins, près de la porte Baudet, quelques arpents de terre, sur un crêt dominant, au sud-est de la ville, la plaine verdoyante de Plainpalais. Le nom de Treille n’était toutefois apparu qu’au xvii e  siècle, sans doute par référence aux arbustes plantés dans les jardins en espaliers des

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