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Rive-Reine

Rive-Reine

Titel: Rive-Reine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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gobergeant les employés municipaux. Tout ce monde parlait bas, au contraire de quelques tablées de fumeurs de pipe, dont les voûtes répercutaient, en brouhaha caverneux, les propos. Les visages glabres, la façon de se tenir, les éclats de voix, les rubans rouges entrevus au revers des redingotes permirent à Axel d’identifier, sans peine, d’anciens militaires. Voyant qu’il observait les consommateurs, M me  Papon abandonna le bastion de la caisse et, se dandinant avec grâce, approcha du jeune homme.
     
    – Ce sont les amis du général Chaslin, dit-elle, désignant les buveurs d’un mouvement de tête.
     
    Elle se pencha vers Axel en plaquant, d’un geste pudique de la main, l’échancrure de son corsage contre son buste. C’était attirer l’attention sur des formes qu’il ne convenait pas de laisser entrevoir au premier venu, mais dont on tentait de prolonger la séduction. Axel sourit et l’hôtesse comprit que ce beau garçon au regard étrange n’était pas dupe de cette modestie théâtrale.
     
    – Ici, nous les appelons les grognards de Napoléon. Ce sont tous des braves, des gens vaillants, que le retour des Bourbons force à l’exil.
     
    – Heureux d’avoir trouvé refuge à Genève, j’imagine.
     
    – Heureux… pas tant que ça, monsieur. Beaucoup ont du mal à vivre. Les uns donnent des leçons de français, de latin, d’italien ou de musique. Ils attendent des jours meilleurs, ils espèrent que leur empereur reviendra… mais c’est là un espoir bien vain, n’est-ce pas, monsieur ? Et puis, faut-il le souhaiter ? Ce Napoléon a fait tant de guerres qui ont fait tant de morts et causé tant de malheurs ! Mais, vous-même, d’où êtes-vous, si ce n’est trop de curiosité de ma part ?
     
    En parlant, M me  Papon avait libéré l’échancrure de son corsage pour s’appuyer des deux mains sur la table.
     
    – Je suis vaudois, de Vevey. Mais je rentre de voyage et j’ai un message à transmettre à M. le Baron de Chaslin avant de retourner chez moi. Voilà pourquoi je suis ici. Je n’hésite pas, madame, à satisfaire votre curiosité, puisque vous êtes en train de satisfaire la mienne, dit, avec un franc sourire, Axel en fixant le décolleté de M me  Papon.
     
    – Oh ! vous êtes un coquin, fit-elle en se redressant, faussement fâchée.
     
    Jetant un regard vers le fond de la salle, où s’activait M. Papon, elle reprit :
     
    » Si mon mari vous entendait ! Que dirait-il ?
     
    – Il dirait sans doute, comme Dante : « Ne parlons pas d’eux, mais regarde et passe ! »
     
    M me  Papon émit un rire qui ressemblait à un gloussement et ses joues s’empourprèrent. Elle soupira. Il y avait de la mélancolie dans ce soupir.
     
    – C’est bien d’un étudiant, cette audace envers une femme qui a passé l’âge du badinage ! C’est une grâce que vous voulez me faire, une sorte de charité ?
     
    – Charité ! Madame ! Je salue en vous la maturité féminine triomphante et…
     
    Le badinage eût continué si M. Papon n’était venu, en trottinant avec vélocité, rompre l’aparté.
     
    – On a besoin de vous à la caisse, madame Papon, et M. de Chaslin attend Monsieur, dans la salle du haut. Il est entré par la porte de la Treille et d’ici, bien sûr, vous n’avez pu le voir, n’est-ce pas !
     
    Axel traduisit par la pensée : « Si vous n’aviez pas été occupée à vous faire conter fleurette par ce freluquet au regard bicolore, qui pourrait être votre petit-fils, vous auriez su que le général était là ! »
     
    M me  Papon s’éloigna, après un dernier sourire à Axel, qui emboîta le pas au cabaretier. Ce dernier l’abandonna au pied d’un escalier de bois, en l’invitant à monter « à la salle du haut ».
     
    Seul, assis devant un pichet de vin, le baron de Chaslin attendait le visiteur. L’ancien lieutenant général déploya sa haute silhouette, serrée dans une redingote bleue, et tendit sa large main à Axel, qui se nomma.
     
    – Êtes-vous français, jeune homme ? demanda aussitôt Chaslin en désignant une chaise au garçon.
     
    – Non, je suis vaudois, mais je rentre d’Italie, de Gênes précisément, et j’ai à vous remettre ce pli, qui m’a été confié par une personne qui sait vos mérites et votre gloire : la baronne Karl von Fernberg.
     
    Tandis que le général prenait connaissance des documents que venait de lui remettre Axel Métaz, ce dernier

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