Rive-Reine
exportés en Suisse allemande, dans le canton de Neuchâtel, en Allemagne et en France 8 . Les Veveysans se flattaient, à juste titre, d’avoir été les premiers en Suisse à fabriquer du chocolat et les artisans chocolatiers de 1820 travaillaient encore le cacao à la main, suivant les méthodes de fabrication inaugurées en 1771, avec la bénédiction de Leurs Excellences de Berne, par Philippe Loup et Benjamin Rossier. Ces deux précurseurs avaient installé leur atelier dans un moulin abandonné, à Corsier-sur-Vevey, au lieu dit Coppet, sur une dérivation de la Veveyse, appelée Monneresse occidentale. Ils broyaient la fève, la mélangeaient à de la mélasse et obtenaient une pâte brune et odorante, qu’ils débitaient en galettes et livraient emballée dans une simple feuille de papier.
Mais, depuis 1819, un nouveau chocolatier s’était installé dans le moulin déserté par Philippe Loup et Benjamin Rossier. C’était un Veveysan, François-Louis Cailler, âgé de vingt-quatre ans, dont on se souvenait qu’il avait été apprenti épicier chez Guggisberg et chez Courlet, avant de partir pour son tour d’Italie. C’est à Turin qu’il avait appris à travailler, dans un mortier, la fève de cacao pour la transformer, après adjonction de sucre brun, en boudins de chocolat. Rentré à Vevey, il avait eu l’idée de mécaniser la fabrication de ce produit dont on vantait les vertus nutritives. Il avait conçu et fait construire une machine à broyer, composée de deux pierres tournantes animées par l’antique roue du moulin. Charles Ruty, en tant que notaire sollicité pour des emprunts, avait suivi les progrès de l’entreprise.
– Sais-tu que, maintenant, Cailler emploie plusieurs ouvriers et qu’il fabrique des chocolats de différents goûts. Il les emballe dans un papier traité suivant un procédé à lui, qui protège galettes et boudins de l’air et de l’humidité. On dit qu’il a conçu une nouvelle machine, qui pèsera et découpera les galettes. La seule gêne pour Cailler, comme pour les autres chocolatiers, est l’approvisionnement en fèves de cacao. Celles-ci proviennent d’Amérique et les intermédiaires en relation avec les producteurs sont âpres au gain, dit Ruty.
– Et la fève de cacao paie toujours sept batz et demi de droit d’entrée au quintal et la taxe à l’exportation du chocolat est toujours de treize batz et demi. Cent fois, j’ai entendu mon père s’indigner de ces impositions qui avantagent la concurrence étrangère. Il a même fait des démarches au département des Finances et au Conseil d’État. Elles n’aboutirent pas. Les taxes restent ce qu’elles sont depuis 1803. Alors, pourquoi développer la chocolaterie ? demanda Axel.
– Parce que, la réussite de la fabrique Cailler le prouve, on compte, en Europe, de plus en plus de consommateurs de chocolat. Et puis tu pourrais demander à ton père, qui est sur place en Amérique, de trouver des producteurs de cacao avec lesquels vous pourriez traiter directement, suggéra Charles Ruty.
Ce soir-là, Axel Métaz sella son cheval et, à travers le vignoble, grimpa jusqu’à Belle-Ombre. Cette première journée dans la peau d’un homme d’affaires le laissait perplexe et inquiet. Saurait-il, comme Guillaume Métaz s’y attendait, négocier le vin, trouver des débouchés pour la pierre de Meillerie, pour le grès de Grandvaux, le calcaire d’Agiez et le tuf de Montcherand ? Obtiendrait-il du fret pour ses barques ? Pourrait-il maintenir en activité le chantier naval, développer la chocolaterie, gérer les entrepôts de grains et de fromage ? Comment veillerait-il, en qualité d’établisseur, sous-traitant de la Fabrique de Genève, à la production des horlogers veveysans, qui travaillaient pour son compte à domicile ? Ces responsabilités, jamais envisagées jusque-là, lui paraissaient écrasantes, disproportionnées et, surtout, assez éloignées de ce qui l’intéressait.
Élevé par une mère oisive, sentimentale, romanesque, qui se voulait d’esprit artiste, parce qu’elle lisait des romans français et des pièces de théâtre anglaises, touchait agréablement du piano, accrochait aux murs eaux-fortes et gravures, et aussi – mais on ne l’apprit que plus tard – parce qu’elle cachait un amant, Axel savait que la possession des biens matériels ne suffit pas à l’homme pour être heureux. Mais il savait aussi, Guillaume Métaz le
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