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Rive-Reine

Rive-Reine

Titel: Rive-Reine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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lui avait enseigné, que l’activité quotidienne, les responsabilités que confèrent la propriété et l’exploitation d’entreprises, la quête d’un honnête profit et la jouissance qu’on doit en retirer peuvent être exaltantes et n’ont rien de méprisable. Tout enfant, Axel avait entendu son père répéter : « Jésus a dit : “Faites-vous des amis avec les richesses de ce monde, afin qu’au moment où elles viendront à vous manquer on vous reçoive dans les demeures éternelles 9 .” » Aussi finit-il par considérer les tâches qui l’attendaient comme un défi, qu’il ne pourrait esquiver qu’au prix du déshonneur. Il aborderait donc sa nouvelle vie, tel un joueur de bassette, avec la volonté de gagner. Le négoce lui assurerait, comme à son père, indépendance et bien-être matériel. Il saurait, hors des affaires, se contenter l’esprit. Et si, par surcroît, le hasard lui proposait aventures ou romances, il les accepterait, surtout si Adrienne était de la partie !
     
    Ayant assuré sa détermination, il bourra sa pipe, l’alluma, tira quelques bouffées et s’en fut quérir une bouteille poussiéreuse dans le cellier. Les premières soirées de printemps étaient fraîches et lumineuses. Le vin doré, tonique et chaleureux lui parut meilleur qu’autrefois. Assis sous la tonnelle, il suivit le déclin du soleil, dont les rayons frisants irisaient le lac, lisse comme une dalle d’ardoise.
     
    Le charme, au sens magique du terme, de Belle-Ombre, domaine que les évêques de Lausanne avaient nommé umbra , au x e  siècle, diffusait des effluves apaisants. Pour la première fois de sa vie, Axel en prit conscience et s’abandonna à ce qu’il appela mentalement, faute d’une meilleure définition, la paix des sens et de l’esprit. En retrouvant sa mère, puis Rive-Reine et le décor, à la fois immuable et changeant, du Léman, il se sentait porté à l’indulgence pour toutes les victimes de l’amour, prêt à pardonner à Martin Chantenoz, s’il le rencontrait un jour, comme il avait absous Flora. Là, il se sentait de force à maintenir la réputation des Métaz, faite d’habileté en affaires mais aussi de probité et de fidélité aux principes chrétiens. Un jour, peut-être, il passerait l’océan pour rendre compte à celui qu’il ne priverait jamais du doux nom de père.
     
    La vue d’une barque tardive, portée vers Vevey par ses voiles latines dressées en oreilles, leva ses dernières craintes. Sa vie était là et ne faisait que commencer. Dans quelques mois, il aurait vingt ans. Ayant déjà vécu plus d’expériences que d’autres ne peuvent en connaître au cours de toute une existence, il saurait goûter les plaisirs avec mesure et affronter l’adversité avec sang-froid. Viril, serein, indépendant, il acceptait son humaine condition, se souvenant que Chantenoz lui avait dit un jour, citant Goethe : « Qui ne peut supporter le désespoir ne doit pas vivre. » Et le mentor avait ajouté : « Pour être heureux, l’homme doit d’abord renoncer au bonheur. » Un tel renoncement avait paru et paraissait encore impossible au jeune homme. Sa notion du bonheur restant floue, il attendrait qu’elle se précisât en lui, au fil des années.
     
    Accepter la vie servie par le Destin ou se brûler la cervelle comme Werther : telle était, d’après le penseur-poète de Weimar, l’alternative qui permet à l’homme de se distinguer de la bête. À Belle-Ombre, ce soir-là, Axel choisit résolument la vie, dont il espérait qu’elle lui rendrait, un jour ou l’autre, Adrienne de Fontsalte, sœur folâtre et amante fougueuse, la première femme qui lui inspirait, sentiment paradoxal, une passion lucide.
     
    En descendant vers Vevey, au petit trot de Ténèbre, il distingua, par-delà le vignoble, le jaune éclatant de quelques champs de colza. Depuis qu’on avait constaté que l’huile extraite de la plante brûlait dans les lampes, en dispensant moins de fumée que les huiles minérales ou animales, la culture de la céréale se développait dans le canton. Peut-être faudrait-il ensemencer en colza les terres en friche d’Hauterive que les Métaz possédaient, au-dessus du village de Rouvenaz, entre Clarens et Montreux, près du site où Rousseau avait situé le bosquet de Julie, la Nouvelle Héloïse.
     

    Au cours des semaines qui suivirent, Axel Métaz reprit contact avec ses professeurs à l’Académie de Lausanne, obtint par un

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