Rive-Reine
Angleterre, afin d’en faire constater l’identité. »
Dès qu’il fut convaincu de l’exactitude du décès de l’empereur, Axel Métaz fit atteler et prit, au grand trot, la route d’Ouchy. Il se devait, dans la circonstance, de manifester sa sympathie à Blaise de Fontsalte. Comme la plupart des anciens officiers d’Empire, qui avaient risqué leur vie sur tous les champs de bataille où le Corse avait jugé utile de les entraîner, le général devait se sentir un peu orphelin.
En arrivant au moulin sur la Vuachère, où il n’était venu qu’une fois, étant enfant, avec sa tante Mathilde, Axel reconnut, rangé sous les arbres, le cabriolet de sa mère. Accueilli par un gaillard moustachu d’allure militaire affligé d’une jambe de bois, le visiteur identifia aussitôt l’ordonnance du général.
– Je viens voir M. de Fontsalte, dit Axel en descendant de son coupé prune.
– Qu’est-ce que vous lui voulez ? C’est pas bien le jour, je vous le dis ! D’abord, qui êtes-vous ? demanda l’homme d’un ton bourru.
– Dites-lui mon nom, Métaz, je vous prie, répliqua Axel avec autorité.
– C’est qu’il est pas tout seul, pour l’heure, et je sais pas si on peut le déranger, fit Titus, découvrant le regard vairon du fils de son maître.
– Je vois, ma mère est là, fit Axel en désignant le cabriolet à coque d’osier.
Titus hésitait toujours sur la conduite à tenir quand Blaise apparut sur le seuil de la maison.
– Entrez, Métaz, et veuillez excuser la méfiance de l’adjudant Trévotte, la mort de l’empereur l’a bouleversé, lui aussi.
C’était la première fois qu’Axel trouvait sa mère et le général réunis dans une intimité qui n’avait rien de factice. Charlotte marqua son étonnement de voir son fils, puis, comprenant qu’il voulait manifester sa sympathie à Blaise, elle l’embrassa avec tendresse.
– C’est bien à toi d’être venu. Blaise est aussi malheureux que s’il avait perdu un parent.
Le général ne se méprit pas, lui non plus, sur le sens qu’il fallait donner à cette apparition impromptue. C’était une visite de condoléances.
– J’apprécie votre geste. Car, voyez-vous, pour ceux qui ont suivi avec enthousiasme le jeune général Bonaparte, puis Napoléon, puis l’empereur, ce jour est un jour de deuil. Nous ne devons cependant retenir que les heures glorieuses, la liesse des victoires, la fraternité des camps, la fierté d’avoir, à travers l’Europe, hissé les trois couleurs de la Révolution sur les palais des despotes. En mettant au premier rang l’amour de la liberté et celui de la patrie, les vertus militaires, le courage et l’audace, l’empereur a fait de gens simples des héros. Il a révélé à eux-mêmes et promu, au seul mérite, des chefs de guerre que les barrières de classes et l’ostracisme aristocratique eussent à jamais écartés des commandements. L’homme eut ses faiblesses, ses griseries, ses vanités, ses impatiences, mais son génie éclatant demeure et sera retenu par l’histoire.
Le général se tut, et Axel respecta son silence. Le grand maître d’une épopée sanglante, mais unique dans l’histoire de l’Europe, venait de s’éteindre sur un rocher, au milieu de l’océan, gardé par les plus mesquins geôliers, mais la renommée clamerait à travers l’espace et le temps la gloire immortelle de Napoléon I er .
Ce soir-là, Trévotte, dit Titus, servit aux trois convives un repas de poisson et un énorme clafoutis aux cerises. Après le dessert, Blaise et Axel bourrèrent leur pipe du même tabac qu’ils enflammèrent au même tison. Charlotte, pour la première fois depuis longtemps, se sentit heureuse en voyant rassemblés, sans gêne ni contrainte, le père et le fils qui conversaient avec naturel. Le général contait des faits d’armes, Axel posait de temps à autre une question, avide de connaître la carrière de cet homme, qui avait reçu l’épreuve du feu à seize ans et dont la modestie, suprême manifestation de fierté, surprenait.
Quand vint le moment, pour le jeune homme, de regagner Vevey, Blaise l’accompagna jusqu’à sa voiture. Du seuil du moulin, Charlotte, émue aux larmes, les vit encore bavarder un moment, comme des amis qui ont peine à se quitter. Les deux hommes échangèrent une poignée de main, mais elle n’entendit pas les mots prononcés par
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