Rive-Reine
Axel :
– Je suis bien aise, monsieur, de vous savoir fidèle à ma mère. Sa quiétude, son bonheur peut-être ne dépendent plus que de vous, maintenant que le divorce a été prononcé.
Blaise mit la main sur l’épaule de son fils et lui sourit.
– Chez nous, Arvernes, la passion est naturelle, saine, impérative. Jeunes, nous ne nous embarrassons pas des considérations morales qui troublent l’esprit quand se manifeste l’instinctive attirance des corps. Mais, quand nous avons élu notre Dame, au sens où l’entendaient les chevaliers de la Table ronde, seule la mort peut nous la prendre ou nous enle ver à elle. Votre mère a été et reste ma reine Guenièvre. Et, quoi qu’il advienne, il en sera ainsi tant que je vivrai.
– Merci, dit simplement Axel.
Un peu plus tard, ayant mis pied à terre dans la côte de Saint-Saphorin, alors que le crépuscule nimbait d’un voile mauve les sommets savoyards, le Veveysan mit sur le compte du sang arverne, légué par les Fontsalte, les passions déraisonnables et immorales, mais aussi impératives, vécues autrefois avec Tignasse et Elizabeth Moore, maintenant avec Adrienne. Restait à élire une Dame !
Les nouvelles concernant la fin de Napoléon figuraient souvent à la première page de la Gazette de Lausanne . Ainsi, un soir de juillet, Axel lut, avec étonnement et une certaine indignation : « le corps de Bonaparte ayant été embaumé à Sainte-Hélène va être envoyé à Londres, où on le destine à figurer dans le grand musée britannique ou dans le cabinet des curiosités du roi ». Quant au cœur de l’empereur, il devait être expédié à Parme, pour être remis à Marie-Louise, veuve de l’empereur, « suivant le dernier vœu du défunt ». Le lendemain, en se rendant à Lausanne, Axel fit un détour par Ouchy et trouva Blaise de Fontsalte au comble de la fureur.
– Les Anglais oseraient exposer le corps de l’empereur comme un crocodile empaillé ! Ces gens sont sans honneur et je suis prêt, avec d’autres, à passer la Manche pour aller les écraser comme des vers de cimetière qu’ils sont ! D’ailleurs, les dernières paroles de Napoléon ont été : « à la tête de l’armée ».
En attendant, Blaise venait de signer la pétition envoyée par les grognards de Genève aux députés français. Il tendit le texte à Axel, qui lut :
« Pétition présentée à la Chambre des députés :
» Messieurs ! Napoléon n’est plus ! Nous réclamons ses restes mortels. L’honneur de la France exige cette restitution, et ce que requiert l’honneur de la France sera accompli. Elle ne peut souffrir que celui qui fut son chef, celui qu’elle accueillit du nom de grand et du titre d’empereur, reste en des mains étrangères, et que chaque Anglais, montrant un monument insolent, puisse dire : “Voici l’empereur des Français.” »
Par le réseau des anciens officiers du service des Affaires secrètes et des Reconnaissances, le général disposait d’informations encore ignorées des journaux.
– Je sais, par mon ami Claude Ribeyre de Béran, qui se trouve à Londres, des choses ahurissantes quant aux procédés des Anglais. Par exemple : ils soutiennent que Napoléon a choisi, de son vivant, Sainte-Hélène pour lieu de sa sépulture. C’est faux ! C’est un odieux mensonge ! Le comte Bertrand et le général de Montholon connaissaient les volontés de l’empereur. Celles-ci sont d’ailleurs écrites dans le testament dicté à Montholon, entre le 13 et le 24 avril. Son vœu était : « reposer sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français que j’ai tant aimé ». Bertrand et Montholon ont demandé au gouvernement britannique que les restes de Napoléon soient transportés en Europe, comme il en avait, devant eux, exprimé le souhait. Leurs démarches étant restées infructueuses, ce sont eux qui ont choisi, pour enterrer l’empereur, le lieu de l’île qu’il paraissait fréquenter avec le plus de plaisir, la vallée des géraniums. C’est ainsi que le corps de Napoléon reste à Sainte-Hélène en vertu d’un ordre du gouvernement anglais envoyé dès 1820 ! Même mort, il leur fait peur !
– La France ne va-t-elle pas exiger l’exécution des volontés testamentaires de Napoléon ? demanda Axel.
– Trop content, cette grosse baudruche de Louis XVIII, qui ne peut même pas se tenir debout !
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