Rive-Reine
Roi-fauteuil, comme on l’appelle. Podagre pédant, qui se croit profond parce qu’il cite Horace à tout propos, libidineux sénile qui, l’œil humide, caresse Zoé Talon, faite comtesse du Cayla. Elle est bien lotie, la France, avec un souverain pareil !
– Mais le gouvernement…, risqua Axel.
– Dirigé par Villèle, le ministre des Finances, un prudent, un louvoyeur, qui veut faire indemniser les émigrés qui ont combattu contre la France dans l’armée des princes et rétablir le droit d’aînesse. Alors, vous pensez, devant les Anglais, chapeau bas ! Lorsqu’il était maire de Toulouse, Villèle a été incapable d’endiguer la Terreur blanche. Il a laissé achever, à coups de sabre, le général Ramel, que les jacobins blancs avaient mortellement blessé !
Pressé par le temps, Axel dut décliner l’invitation du général Fontsalte, qui lui proposait de l’accompagner au lieu dit Chez Villars, un hameau de la commune du Chenit, près du lac de Joux. Un patriote suisse, Philippe Berney, y avait élevé, en 1803, pour fixer le souvenir de l’Acte de Médiation, si bénéfique à l’unité helvétique, un monument à la gloire de Napoléon médiateur. Des anciens officiers français, exilés en Suisse par les Bourbons, allaient s’y rassembler, le lendemain, pour fleurir la stèle commémorative.
C’est d’une tout autre commémoration, moins glorieuse pour la France et plus sanglante pour la Suisse, qu’Axel devait entendre parler, rue de Bourg, chez sa mère, où il passait la nuit, quand il venait traiter des affaires à Lausanne.
Flora Baldini lui annonça l’inauguration prochaine, à Lucerne, d’un monument dédié à la mémoire des Gardes-Suisses de Louis XVI, massacrés aux Tuileries le 10 août 1792.
En qualité de fiancée d’une des victimes, Pierre Mandoz, Flora était conviée à la cérémonie prévue le 10 août, jour anniversaire de l’émeute. Sa sœur Rosine, dite Tignasse, épouse de Julien Mandoz, officier dans la Garde pontificale et frère du martyr, viendrait de Rome avec son mari. Ce dernier figurait parmi les Suisses désignés pour accompagner le commandant de la Garde de Pie VII, un Lucernois, le colonel Charles Pfyffer d’Altishoffen, promoteur du monument. Le 1 er mars 1818, ce rescapé de la tuerie des Tuileries avait proposé une souscription pour l’érection d’un monument à la mémoire de ses camarades, égorgés et dépecés par la plèbe parisienne. Quelques jours avant le 10 août 1792, Charles Pfyffer d’Altishoffen avait été mis en congé, avec d’autres officiers suisses, par ordre exprès de Louis XVI. Le roi, se sachant menacé de déposition, craignait pour la vie des Suisses que les révolutionnaires haïssaient. Sans cet éloignement providentiel, Charles Pfyffer d’Altishoffen eût péri le 10 août, avec six cents de ses camarades, ou les 2 et 3 septembre, quand cent cinquante-six officiers et soldats suisses, internés à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, avaient été exécutés à coups de hache et de massue ou guillotinés, place du Carrousel, tel le major Bachmann, oncle du colonel Pfyffer.
Le 7 août 1817, à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de la journée sanglante, la Diète fédérale avait voté « une reconnaissance éternelle à l’ancien régiment des Gardes-Suisses » et décidé que les noms des derniers défenseurs du trône de France, morts par fidélité à la parole donnée, seraient conservés dans les archives fédérales. Quant aux survivants, tel Julien Mandoz, ils avaient reçu, suspendue à un ruban rouge frappé de la croix blanche fédérale, une médaille de fer portant l’inscription : « Treue und Ehre », littéralement « Fidélité et Honneur ».
– J’accompagnerai Flora, dit Charlotte. Le colonel Guiger de Prangins représentera le canton de Vaud et la France déléguera, dit-on, un membre de la Chambre des pairs, le marquis de Lally-Tollendal. Et toi, viendras-tu avec nous ? Tignasse et Julien se rendront directement à Lucerne et nous préférerions ne pas voyager seules, ajouta l’ex-M me Métaz.
– Je vous accompagnerai, dit Axel, dominant l’appréhension que lui causait une rencontre avec l’ancienne épicière du Jardin des gourmandises.
Après un aparté avec sa mère, il décida de rentrer à Vevey en passant par le moulin sur la Vuachère pour, dit-il, informer le général du prochain
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