Sachso
de Sachsenhausen !
Maintenant, à Heinkel, il nettoie, désinfecte les plaies, applique les pommades, toujours avec le sourire et un mot d’encouragement… et sans oublier ses têtes de turc. Par exemple, il soigne un ulcère infecté sur la jambe d’un détenu quand survient le médecin S. S. qui lui demande : « Qu’est-ce que c’est ? Un ulcère phlegmoneux ? » – « Non, répond Legendre, c’est un phlegmon ulcéreux. » Une heure plus tard, l’infirmier soigne un autre ulcère. Repasse le S. S. qui interroge : « Toujours un phlegmon ulcéreux ? »
— « Non, cette fois c’est un ulcère phlegmoneux ! » – « Donnerwetter ! Ces Français sont toujours humoristes. Tu lui donneras huit jours de repos. » Sur quoi le docteur Langer, un détenu allemand, triple la semaine de bonté du S. S. et le détenu polonais en cause ne comprend pas pourquoi trois semaines de repos lui tombent du ciel avec le sourire d’un Français.
Avec Jacques Placet s’activent également à l’entraide au Revier Heinkel Julien Lajournade, qui travaille à la pharmacie, et un trio fraternel et cosmopolite formé de Méné l’Allemand, Claverie le Français, Anatoli le Russe.
Méné, de son vrai nom Willy Gries, militant communiste interné depuis 1933 (il a le matricule 11478) est l’infirmier qui accueille Albert Claverie au Revier Heinkel par un matin glacial de l’hiver 1944-1945 alors qu’il revient de l’appel avec quarante degrés et demi de fièvre. Après l’avoir remis sur pied, Méné intègre Claverie et Anatoli, un Russe, dans l’organisation d’entraide qu’il a conçue ; il les fait nommer garçons de salle à la 9, la terminale, celle de la mort, où sont les cas les plus graves de tuberculose et de dysenterie. Dès six heures du matin, ils doivent nettoyer la salle de fond en comble, veiller à ce que pas un brin de paille ne traîne ni qu’il reste un grain de poussière sur les tuyaux où le commandant passera tout à l’heure ses doigts, comme chaque jour après l’appel. Anatoli pèse quarante-cinq kilos, Claverie trente-cinq kilos pour un mètre soixante-huit : pourtant ils portent sans peine les malades squelettiques qui ne peuvent se déplacer jusqu’à la tinette située dans le couloir. Puis c’est l’accueil des « entrants », qui stupéfie chaque fois Albert Claverie : « Première des choses, la douche froide sous l’œil des S. S. ! Quand un détenu est trop mal en point, Méné et ses camarades allemands détournent l’attention des gardiens et Anatoli ou moi, selon la nationalité du malade, le soustrayons à ce traitement de cheval. Ensuite, nous le frottons pour provoquer une salutaire réaction… Dans le défilé des malades nous trouvons avec tristesse des amis très chers. Leur seule chance est l’envoi vers la salle pour laquelle Méné intervient sur notre demande. Tout ce que nous pouvons faire, nous le faisons : remonter leur moral, les faire manger, les couvrir au maximum, les porter aux tinettes, étouffer leurs cris, car il faut “maintenir le silence” ! Mais la mort frappe quotidiennement. Tous les jours nous sortons des cadavres, les rasons entièrement, les lavons, marquons leur numéro sur la poitrine et les chargeons le soir sur une charrette. » Néanmoins, les morts aident une dernière fois les vivants. Sous le contrôle de Méné, Claverie et Anatoli récupèrent les gamelles de soupe intactes et les cachent jusqu’à la fin de la journée où, passées à la dérobée par une fenêtre, elles aliment la solidarité intérieure du kommando.
L’ADMISSION AU REVIER
Souhaitée ou redoutée, l’entrée au Revier d’un détenu malade ou blessé ne dépend pas de sa seule volonté. N’entre pas au Revier qui veut ! Quelle que soit la gravité de son cas, le malade, avant d’être admis, doit franchir une série d’obstacles. L’arbitraire, le hasard, l’humeur du chef de block ou du chef de l’ambulance sont plus déterminants que son état.
C’est d’abord le chef de block, ou le Vorarbeiter du kommando s’il y a blessure au cours du travail, qui décide si le postulant peut se présenter à la visite. Le refus est souvent assorti de brutalités et peut être maintenu plusieurs jours de suite. C’est ainsi que des malades pourtant gravement atteints arrivent dans un état lamentable devant le docteur. « J’ai vu personnellement et opéré des occlusions, des perforations gastriques, des
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