Sachso
heures et demie. Avec beaucoup de brio, devant les S. S. ébahis, Coudert met deux heures un quart. La partie est gagnée… si Dubois consent à survivre, car, les antibiotiques n’existant pas, l’opéré est abandonné à sa seule résistance physique.
Ce soir-là, le docteur Coudert s’endort en pensant de toutes ses forces à son malade : « Mon petit Paul, ne meurs pas, surtout ne meurs pas… »
Effectivement, Paul Dubois s’en sort et le docteur Coudert conclut ces heures de tension : « Voilà comment, grâce à Paul le mineur, je suis devenu le chirurgien du camp et comment j’ai pu à ce poste contribuer à sauver d’autres vies. »
Jusqu’à la libération du camp, Gaberle lui abandonnera une partie de ses prérogatives. Le docteur Coudert pratiquera au total plus de trois mille interventions chirurgicales. En 1944, son influence et son autorité sont telles qu’il a la liberté d’aller où il veut dans le camp et qu’il peut ainsi développer l’action de solidarité de l’équipe internationale de médecins détenus qu’il anime à Oranienburg-Sachsenhausen.
L’un des membres de cette équipe, le docteur Marcel Leboucher, résume très bien le rôle de son ami Émile-Louis Coudert : « Opérateur remarquable et consciencieux, doué d’une dextérité à nulle autre pareille, il sut donner un éclat magnifique à la technique chirurgicale française en accomplissant de merveilleux sauvetages. Il sut s’imposer dans toute l’acception du mot. »
« S’imposer », c’est bien de cela qu’il s’agit pour Coudert, qui met tout au service des autres : ses qualités professionnelles, sa force de caractère, son courage et sa ruse quand il lui faut bluffer les S. S. en prenant personnellement de grands risques.
Militants connus ou anonymes de la Résistance, personnalités ou simples ouvriers et paysans de France et d’ailleurs, chacun trouve auprès de lui le même accueil chaleureux et rugueux, le même dévouement. André Rochet, qu’il ampute en juillet 1944 de l’annulaire droit, Édouard Mariaud, dont il consolide le bras broyé sur dix-sept centimètres au moyen de plaques métalliques vissées, André Gilles, qu’il maintient cinq mois au Revier après l’avoir opéré des deux jambes qu’un obus de la D. C. A. allemande a déchiquetées, Raymond Jamain, qui peut se reposer trois semaines dans son service après une intervention consécutive à une blessure lors du bombardement de Heinkel, et des centaines d’autres trouvent les mêmes mots pour le remercier et lui rendre hommage. Tout comme l’amiral Jozan qui, atteint à la colonne vertébrale, obtient grâce à lui un travail assis, le sitzende Arbeit, ou Claude Bourdet, du Conseil national de la Résistance, sur l’état duquel son attention est attirée par l’organisation clandestine du camp. Le docteur Coudert se rend aussitôt à son block : « Je trouve un type épuisé. Il fait une diplopie : il ne voit plus clair, c’est un signe de très grosse fatigue. Je dis au chef de block : “Il a une crise d’appendicite.” On emmène donc Claude Bourdet au Revier I. Je l’opère le lendemain, c’est-à-dire que je lui fais seulement une cicatrice. Ce qui importe est qu’il reste au lit, mieux nourri. Deux ou trois semaines après, il a repris un ou deux kilos et a retrouvé la vue. »
Le Rochefortais René Lortholary, qui a une jambe fracassée au cours du bombardement de l’usine Heinkel le 18 avril 1944 est tout interloqué lorsqu’il arrive au Revier de Sachsenhausen : « Un médecin me regarde et me dit qu’il va essayer d’arranger mon affaire. “Comment t’appelles-tu ? – “Lortholary.” – Eh bien, tu es Basque.” – “Je ne suis pas Basque du tout.” – “Tu seras Basque !”
« Je ne cherche pas à comprendre. Quand tous les blessés et malades sont alignés sur les lits, ce docteur (je ne saurai que plus tard son nom, Coudert) revient avec le médecin S. S. Gaberle qui parle un peu français et s’intéresse à moi… en me demandant si je suis Basque. Je réponds affirmativement et satisfais ainsi une de ses lubies. Il donne le feu vert pour qu’on me soigne. J’ai la jambe en extension avec une broche de Kirchen, ce qui semble invraisemblable dans un camp, mais je le dois à la ruse du docteur Coudert. »
Léon Jacquot, soigné lui aussi par le « Toubib », lui doit durant l’hiver 1944 de rester comme veilleur de nuit au Revier :
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