Sachso
appendicites avec péritonite qui s’étaient déclarées deux, trois, quatre, et même une fois, sept jours avant ! » confirme le docteur Coudert. Si le chef de block est d’accord, il délivre au malade un billet qui lui permet de tenter sa chance.
À Sachsenhausen, chaque matin avant l’appel, ou chaque soir après l’appel, une longue file de deux cents à trois cents hommes stationne dehors, hiver comme été, devant le portail du Revier. Bousculés, maltraités par les portiers comme du bétail récalcitrant, les malades peuvent être purement et simplement chassés (et tout est à refaire) ou alors ils pénètrent par groupe de dix ou vingt dans l’ambulance, vaste salle située dans le Revier I. En 1943, August Born, un triangle noir, véritable cerbère, y règne en maître absolu. Il distribue d’autorité les bons de repos à ses amis, roue de coups et jette dehors ceux qui ne lui plaisent pas. Les chanceux qui parviennent à franchir ce nouvel obstacle peuvent enfin être examinés par l’un des quatre à six médecins qui trient les malades et décident de leur sort. Selon leur cas, ils sont orientés dans trois directions : le Schonung (repos au block), le leichte Arbeit (travail léger) ou le Revier. Là encore, les quotas fixés par les S. S. ne sauraient être dépassés ; il arrive fréquemment que des malades graves soient renvoyés au travail.
Une fois admis au Revier, le malade n’est pas encore au bout de ses peines. Il lui faut attendre longtemps dans des couloirs balayés de courants d’air, une heure ou plus. Et c’est la douche rituelle, la douche glacée pour tous ! En juin 1943, Jacques Lefaure attend pour entrer au Revier V : « Un Kalfaktor (garçon de salle) couche le patient nu sur le sol du Washraum (les lavabos), l’arrose à grands seaux d’eau froide et le frotte vivement des pieds à la tête avec une brosse du type lave-pont utilisée généralement pour les parquets. Dans de nombreux cas, après cette réception, on ne relève qu’un mort, proprement nettoyé ! »
Dans le plan qui commande toute l’organisation du camp, le Revier a un rôle sélectif de choix : on s’y débarrasse des déchets que fabrique la monstrueuse machinerie, à savoir les éléments non rentables ; n’y comptent, aux yeux des S. S., que les malades ou les blessés susceptibles de fournir encore du travail à leur sortie. Autrement dit, le Revier fonctionne comme un piège : le nombre de cadavres qu’il rejette est infiniment plus grand que celui des survivants échappés de ses filets.
Pourquoi, en juin 1943, se retrouvant ensemble à la porte du Revier de Sachsenhausen, Jacques Lefaure, qui a une forte fièvre, est-il dirigé sur le Revier V et son camarade Marc Robert, qui a la dysenterie, est-il renvoyé à son block, où il mourra quelques semaines plus tard ? Pourquoi dans les salles une promiscuité poussée jusqu’à la démence et qui favorise les risques de contagion, dysentériques mêlés aux non dysentériques, tuberculeux aux non tuberculeux ? Pourquoi ces gamelles souillées repassées de l’un à l’autre sans être lavées ? Pourquoi ces malades étendus sur des paillasses infectes obligés de se rendre le matin à un simulacre de toilette pour se recoucher dans le pus, le sang, les excréments ? Il semble bien qu’il n’y ait qu’une seule réponse à ces questions : toujours la sélection, naturelle celle-là, qui éliminera les plus faibles et gardera les plus résistants.
À la fin de février 1943, Jean Pucheu, qui a seulement de la température, est envoyé chez les contagieux du Revier V : « Le premier contact est épouvantable. Les châlits débordent de faces d’agonisants qui nous regardent arriver avec curiosité. Jamais je n’oublierai ces regards qu’ils jettent aux nouveaux venus, ni l’odeur de pourriture et de mort qui m’étreint dès l’entrée.
« Le chef de block est une sorte de fou sadique. Il ne supporte pas le moindre bruit, ni gémissement ni ronflement. La nuit, il rôde entre les lits, son ceinturon à la main, et il l’abat sur tous ceux qui troublent le calme, y compris ceux qui doivent se lever pour aller aux toilettes. Je le vois assommer un Français qui, par manque de forces, ne remonte pas assez vite à son troisième étage. Une nuit, je dois me rendre à mon tour aux W.-C., je me trompe de porte et pénètre dans les lavabos. Spectacle hallucinant ; les cadavres y sont empilés
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