Sang Royal
vaste estuaire gris, plus large que la Tamise à Londres et constellé de voiles.
« On y est presque ! s’écria avec soulagement Giles, qui chevauchait à mes côtés.
— Il ne nous reste plus qu’à monter à bord du bateau qui nous ramènera chez nous », dis-je. Cette perspective me mettait du baume au cœur. « Voici donc la Humber ? Elle est très large.
— En effet. On voguera dessus, puis on passera devant le cap Spurn, avant d’entrer dans la mer du Nord.
— Vous êtes déjà venu à Hull ?
— Une fois ou deux. Pour des affaires juridiques. La dernière fois, c’était il y a près de vingt ans. Tenez, voici les murs… » Suivant du regard la direction qu’indiquait son doigt, je découvris une ville fortifiée, bordée par l’estuaire gris et une petite rivière qui s’y déversait à angle droit. Elle était moins grande que je l’avais imaginé, d’une superficie équivalant à moins de la moitié d’York.
« Les murs ont une couleur bizarre, dis-je. Rougeâtre.
— C’est de la brique, expliqua Wrenne. Toutes les briques du Yorkshire passent par Hull. »
Comme nous approchions de la ville, j’aperçus un groupe de dignitaires devant les murs. Ils attendaient l’arrivée du roi, qui honorait Hull de sa visite pour la deuxième fois. Le cortège s’arrêta et nous restâmes en selle un bon moment durant la cérémonie d’accueil du roi, de la reine, et de leur entourage. La foule qui s’était agglutinée devant nous les dérobait à ma vue. J’en étais ravi, car il m’avait suffi d’apercevoir l’assemblée des dignitaires pour revivre l’épisode de Fulford. Souvenir qui m’emplissait de honte et de colère. J’aperçus Dereham et Culpeper à cheval au milieu des courtisans.
Finalement, des agents officiels commencèrent à déambuler parmi nous, indiquant à chacun où il devait passer la nuit. Craike était présent, les yeux rivés sur ses documents pour répondre aux questions. Heureusement qu’une pince les retenait sur son écritoire car le vent ne cessait de les soulever. Il s’approcha de l’endroit où nous étions assis.
« Confrère Shardlake, dit-il, tu seras logé à l’auberge. Toi, messire Wrenne, et ton assistant Barak. Apparemment, quelqu’un a donné son aval à ces dispositions. » Il nous jeta un coup d’œil méfiant. Humait-il l’odeur du pot-de-vin ? Près de nous, certains des autres avocats, qu’une nuit sous la tente en pleins champs attendait, nous regardaient avec envie.
« Je vais maintenant accompagner à pied jusqu’à Hull ceux qui logent en ville. On va venir chercher vos montures pour les mener à l’écurie. »
Giles, Barak et moi entrâmes dans la ville en compagnie de Craike. Nous faisions partie d’un groupe de dignitaires chanceux – la plupart d’un rang très supérieur au nôtre. Comme nous approchions des murs de brique, je vis un nouveau squelette enchaîné et suspendu aux remparts. Celui de sir Robert Constable, devinai-je, dans la demeure duquel le roi avait séjourné à Holme. Wrenne détourna le regard. Le dégoût se lisait sur son visage.
Nous franchîmes la porte de la ville et suivîmes une longue artère qui, selon Craike, s’appelait Lowgate. Les bâtiments semblaient en meilleur état que ceux d’York, les habitants un peu plus prospères. Ils nous fixaient d’un air morne en s’écartant sur notre passage. C’était la deuxième fois que le roi leur rendait visite et ils étaient blasés.
« Combien de temps allons-nous demeurer ici ? demandai-je à Craike.
— Aucune idée. Le roi veut élaborer les plans des nouveaux ouvrages de défense.
— Où loge-t-il ? »
Craike désigna sur notre gauche un groupe de hautes cheminées dominant les maisons aux toits rouges. « Dans son château de Hull, qui appartenait jadis à la famille de la Pole. »
Une autre demeure dont il s’est emparé, pensai-je. Craike ne semblait pas avoir envie de converser, mais j’insistai : « Nous devons rentrer à Londres par bateau. Beaucoup d’autres personnes emprunteront-elles ce mode de locomotion ?
— Non. Après Hull, le cortège traversera le fleuve et se rendra à Lincoln à cheval. Il se divisera à partir de là.
— Il faut que nous y arrivions le plus vite possible. »
Le vent soulevait à nouveau ses papiers, que Craike plaqua sur l’écritoire du plat de sa main grassouillette. Il leva les yeux vers le ciel où voguaient des nuages gris. « Alors,
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