Sang Royal
j’espère que le temps vous permettra de partir… Eh bien, nous y voici ! » fit-il en s’arrêtant devant la porte d’une auberge.
À l’intérieur se trouvaient déjà un certain nombre d’hommes de qualité. Ils jetèrent un regard méprisant sur nos robes d’avocats. Craike leur fit un profond salut. « Il faut que je reparte. Je ne fais guère confiance à mon personnel en ce qui concerne l’attribution des différents logements. Un vrai cauchemar ! » Sur ce, il s’esquiva.
« Il n’est pas extrêmement courtois », déclara Wrenne.
Appuyé sur sa canne, Barak émit un sourire sardonique. « Il a des soucis », expliqua-t-il.
Barak et moi partagions une chambre agréable à l’arrière de l’auberge, Wrenne logeait dans la chambre contiguë. Un feu brûlait dans l’âtre et la fenêtre donnait sur les maisons aux toits rouges qui descendaient vers les berges boueuses de la petite rivière. La pluie s’était remise à tomber, et de grosses gouttes ruisselaient sur les carreaux en forme de losanges. Barak s’assit sur un lit en poussant un soupir de soulagement. Je contemplai mes sacoches, sans trop savoir ce que je devais déballer. J’entendis alors un lourd pas dans l’escalier. La porte s’ouvrit et Maleverer entra sans frapper. Il jeta un coup d’œil à l’entour.
« Vous vous êtes bien débrouillés, persifla-t-il. Je suis venu vous annoncer que Broderick se trouve dans la prison de Hull. En compagnie de Radwinter. On a libéré une aile de tous ses prisonniers. » Selon son geste habituel, il passa la main sur le bord de sa barbe d’un noir de jais. « J’ai reçu du Conseil privé de nouvelles instructions le concernant. Avec ce vilain temps, on ne sait pas quand on rentrera à Londres.
— Il risque d’y avoir du retard ?
— C’est possible. C’est la raison pour laquelle le roi a ordonné qu’on lui inflige l’interrogatoire ici même. La prison de Hull possède un chevalet. Je dois superviser l’opération moi-même. »
J’avais follement espéré que Broderick pourrait échapper à son sort. Et voilà que l’instruction devait avoir lieu dès le lendemain.
« Il est très faible », dis-je.
Il haussa les épaules. « Nous n’y pouvons rien. Nous ne croyons pas qu’il connaisse le contenu exact du coffret, mais ce n’est pas impossible. Et il se peut qu’il sache le nom des conjurés londoniens. Nous n’avons jamais ignoré que des avocats londoniens se trouvaient au cœur de la conspiration, mais nous ne sommes pas parvenus à leur mettre la main au collet. » Il fit craquer bruyamment ses doigts. « On verra donc ce qu’on peut tirer de lui demain. Entretemps on interrogera Bernard Locke à la Tour, au sujet de la mission de Mlle Marlin. »
Je scrutai son visage lourd et cruel. Pour lui, il s’agissait seulement d’un travail, d’une nouvelle tâche à effectuer. Il eut un bref rictus, puis quitta la chambre. Barak fixa la porte fermée. « Seigneur Dieu, ce n’est pas la pitié qui l’étouffe ! Il est aussi impitoyable que lord Cromwell. »
Je dormis peu, cette nuit-là. La pensée de ce qui attendait Broderick m’empêchait de fermer l’œil. Je me rappelais comment il m’accusait avec ironie de le garder vivant pour le bourreau. Le tour de Bernard Locke était sans doute déjà venu. La dureté de Maleverer me glaçait les sangs. Je me levai avant l’aube, sans faire de bruit pour ne pas réveiller Barak, qui ronflait légèrement, et me dirigeai vers la fenêtre. Il faisait nuit noire, des rafales de vent écrasaient des gouttes de pluie contre les vitres. Broderick était-il réveillé dans sa cellule ? S’efforçait-il de se raidir et de s’insensibiliser en prévision du chevalet ? Une feuille de hêtre trempée se plaqua contre un carreau. Recroquevillée sur elle-même elle avait l’air d’un doigt accusateur.
Maleverer revint à l’auberge après le déjeuner. Barak, Giles et moi étions occupés à jouer aux cartes. Nous étions tous les trois d’humeur morose à cause de la pluie et du vent, qui ne cessait de souffler avec une violence extrême. Une vraie tempête d’automne… L’aubergiste nous avait cependant indiqué qu’au mois d’octobre un tel vent de sud-est était inhabituel. Or, tant que le vent ne tombait pas nous ne pouvions lever l’ancre.
« Laissez-nous ! lança sèchement Maleverer aux deux autres. Je désire m’entretenir en tête à tête avec le confrère
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