Sang Royal
champs qui entouraient le campement, mais je ne m’aventurai même pas jusque-là, préférant me reposer dans ma tente. Après avoir frôlé la mort à Holme, ces quelques jours d’attente me permirent de me remettre de mes émois et de me détendre un brin. Pour tout exercice, je marchais chaque jour jusqu’à un champ voisin où, surveillée de près, se trouvait la voiture de Broderick. Ce dernier paraissait s’être replié sur lui-même. Prostré sur sa paillasse, il restait silencieux et semblait à peine conscient de ma présence. Radwinter n’était guère plus loquace. Désormais il se montrait revêche et avait perdu son goût des joutes oratoires. S’entendre traiter de fou l’avait peut-être finalement ébranlé.
Le lendemain matin, je pris mon courage à deux mains et retournai voir Maleverer. Les gardes me dirigèrent vers une cour intérieure du château. J’eus un coup au cœur en le voyant cheminer et discuter avec sir Richard Rich. Ils me regardèrent avec surprise et je les saluai, chapeau bas.
« À nouveau, messire Shardlake », lança Rich, son visage étroit éclairé d’un sourire. Cet homme qui m’avait vu sortir de la tente de la reine à Holme, le jour où j’avais été convoqué par lady Rochford, allait-il faire référence à cet événement ? Il se contenta en fait de déclarer : « Je me suis laissé dire que vous aviez échappé à une tentative de meurtre. Perpétrée par une femme. Voilà qui m’aurait facilité la vie si elle avait réussi son coup… Cela m’aurait évité d’avoir à démêler le dossier Bealknap », s’esclaffa-t-il, imité servilement par Maleverer.
J’étais si habitué aux moqueries de Rich que cette saillie me laissa de marbre. « Sir William, je souhaitais vous parler de Mlle Marlin.
— Il est intelligent, le bougre, dit Malaverer en se tournant vers Rich. Il lui arrive d’avoir de bonnes idées. Son esprit fureteur a permis de mettre au jour la vérité à propos de l’empoisonnement de Broderick.
— Il furète trop, grommela Rich. Je vous quitte, sir William. Nous reparlerons plus tard de cette affaire », ajouta-t-il, avant de s’éloigner.
Maleverer fixa sur moi un regard agacé. « Je vous écoute, confrère Shardlake. »
Je lui expliquai que je me posais des questions sur l’attitude de Jennet Marlin devant la tour du feu d’alarme. « Je me demande si c’est elle qui m’a attaqué au Manoir du roi. Elle n’a jamais signalé ce fait, et il me semble étrange qu’après m’avoir laissé la vie sauve elle m’ait pourchassé par la suite. » Je le regardai droit dans les yeux. « Peut-être pour m’empêcher de montrer les documents à Cranmer après vous les avoir cachés. »
Il fronça les sourcils et mordilla l’un de ses longs ongles jaunis. « Ce qui signifierait que ces documents sont finalement entre les mains des conspirateurs.
— Oui, sir William. C’est bien ça.
— Vous vous mettez trop martel en tête. Si les conjurés étaient en possession de ces papiers, ils les auraient déjà utilisés.
— Il se peut qu’ils attendent le moment adéquat. »
Il scruta mon visage. « Avez-vous énoncé cette hypothèse à quelqu’un d’autre ?
— Seulement à Barak.
— Et qu’en pense-t-il, lui ? bougonna-t-il.
— Il… Lui aussi pense que ce ne sont que des hypothèses.
— Vous voyez bien. Oubliez tout ça. Vous m’entendez ? Oubliez tout ça ! » répéta-t-il avec un puissant froncement de sourcils.
Je compris que s’il faisait part de cette hypothèse au Conseil privé et que celui-ci envisage la possibilité que les documents soient entre les mains des conspirateurs, cela nuirait à sa réputation, juste au moment où il pensait que tout était réglé.
« Très bien, sir William », répondis-je. J’inclinai le buste et m’éloignai. Au moment où j’atteignais l’arcade, il me rappela :
« Messire Shardlake !
— Oui, sir William. »
Il avait l’air mécontent, troublé. « Sir Richard a raison. Vous êtes un fâcheux personnage. »
Durant les deux jours suivants, le temps resta beau, quoiqu’un peu plus froid chaque jour. Leconfield était un endroit charmant ; le château et les prairies étaient entourés de bois aux lumineuses couleurs automnales. Les heures passaient lentement, cependant. Emmitouflés dans nos manteaux, Barak, Giles et moi restions de longs moments dans ma tente à jouer aux cartes. Après que Barak nous eut
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