Sang Royal
l’archevêque soit disponible. » En tout cas, pensai-je, je suis à nouveau « messire Shardlake ». Il s’adressa à Barak : « Suivez-moi, je vous prie, vous devez attendre ailleurs. »
« À tout à l’heure, monsieur », me dit Barak en suivant le commis à contrecœur. Le soldat ouvrit la porte et me fit entrer dans la pièce, avant de la refermer. Je devinai qu’il allait monter la garde dans le couloir. Je jetai un coup d’œil à l’entour. Les murs étaient recouverts de tapisseries représentant des scènes de la Rome antique, des édifices à colonnes dans le lointain. Un feu brûlait dans la cheminée. Des coussins étaient empilés près de l’âtre, sur lesquels je m’affalai avec délices, sans même prendre la peine d’enlever mon manteau mouillé. Mes yeux se fermèrent aussitôt.
Je me réveillai en sentant une présence dans la pièce. Vêtu de sa robe blanche et de son étole noire, l’archevêque Cranmer se dressait devant moi. L’inquiétude se lisait sur son visage austère et fatigué.
Je me remis sur pied aussi prestement que possible. Au moment où je bougeai la tête, un nouvel élancement de douleur me transperça la mâchoire et je geignis. L’archevêque tendit la main. « Pas si vite, messire Shardlake, vous risquez de vous trouver mal. Tenez, prenez cette chaise. » Il tira de la table de jeu un siège sur lequel je me laissai lourdement tomber.
« Qu’est-il arrivé à votre visage ? » demanda-t-il d’une voix douce. Ses joues étaient grisâtres et il avait des poches de fatigue sous les yeux.
« On m’a torturé, Votre Grâce, à la Tour. Barak est arrivé un rien trop tard. On m’a cassé une dent. » Ma voix m’apparut soudain comme très voilée.
Il fit une grimace de dégoût. « Je n’y suis pour rien… Sir Richard Rich est venu me dire, expliqua-t-il après une courte hésitation, que vous aviez eu vent de la liaison de la reine avec Dereham. Il savait que j’exploitais déjà d’autres renseignements – renseignements qui me sont parvenus durant l’expédition royale. Une ancienne servante de la reine, de l’époque d’avant son mariage, soutient que Catherine a eu jadis des relations charnelles avec Dereham et qu’il existe peut-être un contrat préalable. On m’a persuadé de vous emprisonner à la Tour, sous prétexte que vous seriez davantage disposé à avouer si vous y étiez détenu. » Il me fixa un instant d’un air sévère. « Je me suis senti trahi parce que vous n’aviez pas révélé ce que vous saviez. Mais je n’ai pas demandé qu’on utilise la torture.
— Cela a sans doute amusé Rich de me faire torturer. Je suppose que c’est lui qui en a donné l’ordre au gouverneur.
— Maleverer m’a apporté la déposition d’un employé de messire Craike. L’employé a soudain disparu. Et Craike est venu me voir ce matin. Il affirme que sir William Maleverer lui a demandé de la part de Rich si l’un de ses commis accepterait de faire un faux témoignage, moyennant finance. Craike prétend qu’il a proposé quelqu’un à contrecœur. Il ne savait pas que vous seriez la victime de cette machination et est venu me voir dès qu’il a appris qu’on vous avait conduit à la Tour… Craike m’a aussi parlé de l’emprise de Rich sur lui, ajouta-t-il en me regardant droit dans les yeux. Il m’a déclaré qu’il ne la supportait plus, vu le rôle qu’il avait involontairement joué dans votre emprisonnement à la Tour.
— Va-t-il perdre son poste ?
— Je le crains. Passons sur ses visites aux lupanars… » L’archevêque fronça les narines d’un air de dégoût. «… mais il n’aurait pas dû laisser Rich exercer un chantage sur lui. Cela au moins va cesser. Maleverer est à la solde de Rich. Il cherche à acquérir certaines des terres de Robert Aske. » Il pinça fortement les lèvres. « Il va perdre son siège au Conseil du Nord. Je vais m’en assurer.
— Rich a gagné contre moi, Votre Grâce. Dans le procès dont Barak a parlé à votre secrétaire… Le Guildhall a renoncé aux poursuites. » Je m’aperçus soudain que finalement, cette histoire m’intéressait toujours.
« J’en suis désolé pour vous. Mais vous devez comprendre que la puissance de Rich est sans mesure, et le roi en a trop besoin pour que je puisse m’opposer à lui.
— Il a donc gagné sur toute la ligne. »
Il me fixa d’un air grave. « Vous avez travaillé pour lord Cromwell,
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