Sang Royal
Arbre généalogique apparemment exact, copie de la légende de la Taupe, texte de loi – un faux, selon Maleverer –, confession d’un dénommé Blaybourne, dont le nom paraît inspirer une grande frayeur aux puissants. Il y avait également d’autres papiers, un bon nombre, qui ressemblaient à des sortes d’attestations. Et qui les a volés ? Quelque conspirateur tentant d’empêcher le roi de mettre la main dessus ? Mais, dans ce cas, pourquoi Oldroyd ne les lui a-t-il pas remis ? Je suppose que cela constitue le motif de son assassinat…
— Je n’en sais rien. Grand Dieu, il me tarde de rentrer à la maison !
— À moi aussi. » Le vent glacial qui soufflait par une fenêtre ogivale dépouillée de ses vitraux me faisait frissonner. Par les ouvertures béantes je regardai le ciel gris qui commençait à peine à s’obscurcir. C’était sans doute Oldroyd qui avait démonté ces vitraux. Qu’allait-il advenir de sa maison et de son atelier ? Lui aussi était mort sans laisser d’héritier.
« À quoi pensez-vous ? demanda Barak.
— Que depuis notre arrivée mon esprit s’est préoccupé de généalogie. De dynasties, comme celle du roi, qui comporte des héritiers, et de descendances, comme celles de Wrenne et d’Oldroyd, qui n’en ont pas. Et comme la mienne peut-être. » Je souris tristement. « Je suppose que, grâce au sang juif de ton père, ton arbre remonte à Abraham.
— Adam, le premier pécheur, est notre ancêtre à tous, répondit Barak avec un haussement d’épaules. Je suis aussi fils unique et j’aimerais que la lignée continue… La lignée juive secrète », ajouta-t-il avec un sourire sans joie. Il se tourna vers moi. « Vous pouvez encore vous marier… Vous avez moins de quarante ans.
— Je les aurai l’année prochaine. Ensuite, on me considérera comme un vieillard.
— Le roi a dix ans de plus. »
Je soupirai. « Après lady Honor, l’année dernière… » Je changeai brusquement de sujet. « Par conséquent, tu t’es rabiboché avec Tamasin. »
Il sourit puis posa sur moi un regard grave. « C’est exact. Je crois qu’elle était terrorisée d’être traînée devant Maleverer, bien qu’elle ait cherché à s’en cacher. Elle m’a dit que Mlle Marlin lui a passé un savon mais a promis de ne rien dire à lady Rochford.
— Il n’est pas dans l’intérêt de Mlle Marlin de mettre au courant lady Rochford, qui risquerait de lui reprocher de mal surveiller la petite. Mlle Marlin est une drôle de femme. Que pense d’elle la jeune Tamasin ?
— Bizarrement, qu’en gros c’est une gentille maîtresse. C’est elle qui a choisi Tamasin pour l’accompagner à York. Je crois que Tamasin la plaint d’être moquée par les autres dames. Elle a bon cœur.
— C’est une qualité chez une femme… Seigneur Dieu, que je suis fatigué ! m’écriai-je en me massant le cou. Je devrais me rendre à la prison ce soir, mais je n’ai pas le courage de traverser York dans le noir.
— Ça ne m’étonne guère, après avoir été estourbi de la sorte. Ce soir, vous devriez vous reposer.
— J’irai demain, et je rendrai également visite à messire Wrenne. Je m’attache beaucoup à ce vieil homme. » Après un instant de silence, je repris : « Il est seul. Il me rappelle mon père, et je me sens coupable de ne pas être allé le voir durant une année entière avant sa mort. »
Les événements de la journée, l’ambiance de cette église profanée et résonant du bruissement de la paille et des cris des coqs de combat semblaient avoir rendu nos esprits inhabituellement propices aux confidences.
« Il m’arrive de penser à mon père, déclara Barak. Quand j’étais petit il voulait toujours me prendre dans ses bras, mais je me tortillais pour me dégager de son emprise à cause de son odeur… Il vidait les fosses d’aisances… Je rêve souvent qu’il vient vers moi, les bras tendus, mais, humant son odeur, c’est plus fort que moi et je recule comme jadis. Puis je me réveille, avec cette odeur dans les narines. J’y ai repensé quand on a amené l’apprenti dans le bureau de Maleverer. » Il se palpa la poitrine à l’endroit où je savais qu’il portait l’ancienne mezouzah héritée de son père. « Peut-être qu’on nous envoie ces rêves pour nous punir, conclut-il d’une voix douce. Pour nous rappeler nos péchés.
— Tu es un piètre consolateur.
— Oui, fit-il en se levant.
Weitere Kostenlose Bücher