Sang Royal
soucieux.
« Je vais vous accompagner, monsieur, dit-il immédiatement.
— Que s’est-il passé ?
— Il y a moins d’une heure, maître Radwinter est descendu au poste de garde pour annoncer que le prisonnier était malade. Il pensait à un empoisonnement et a demandé de vous envoyer quérir, vous et le médecin. Le médecin vient de monter. »
Radwinter m’avait donc fait envoyer chercher. Sans doute pour protéger ses arrières et partager la responsabilité au cas où Broderick viendrait à mourir. Je serrai les lèvres tandis que nous escaladions derrière le garde l’humide escalier à vis. La porte de la cellule de Broderick était ouverte. À l’intérieur, vêtu d’une robe noire aux parements de fourrure et coiffé d’une calotte ajustée au crâne, un homme corpulent se penchait au-dessus du lit éclairé par une lampe posée sur le sol. L’aigre odeur du vomi emplissait la pièce. Radwinter, une lampe à la main, contemplait la scène. Il se tourna à notre entrée. Son teint livide contrastait avec sa barbe noire. Dans sa précipitation à s’être rhabillé, il n’avait pas du tout l’air aussi fringant que d’habitude, et dans ses yeux la peur le disputait à la colère. Il dévisagea Barak, qui le fixa sans ciller.
« Qui est-ce ? lança-t-il sans ambages.
— Barak, mon assistant. Il peut être mis au courant de tout, consigne de l’archevêque… Comment va sir Edward ? »
À ce moment, le médecin se leva et se tourna vers moi. Âgé d’une cinquantaine d’années, il avait les cheveux grisonnants sous sa calotte, et j’eus le plaisir de découvrir un large visage à l’air intelligent.
« Cet homme a été incontestablement empoisonné, répondit-il. Maître Radwinter m’a expliqué qu’il y a environ une heure il a, depuis sa chambre à l’étage au-dessous, entendu le prisonnier tomber lourdement de son lit.
— Vous êtes le médecin qui a examiné le prisonnier avant-hier ?
— En effet, monsieur, dit-il en inclinant le buste. Je suis le Dr Jibson, de Lop Lane. »
Je me penchai sur le côté pour voir Broderick qui était allongé sur sa paillasse derrière lui, les longues chaînes reposant mollement sur son corps. Sa barbe était mouillée de vomi et son visage affichait une pâleur mortelle.
— Va-t-il s’en tirer ?
— Je l’espère. Il semble avoir complètement régurgité ce qu’on lui a donné. » Il jeta un coup d’œil vers un seau à demi plein. Un gobelet et une écuelle en bois, vides quant à eux, se trouvaient là également. « Il prend sa nourriture dans ces récipients ?
— Oui, répondit Radwinter. Il a dîné très tard hier soir. »
Le Dr Jibson fronça les sourcils. « Alors il aurait dû vomir plus tôt, d’après moi. Mais les poisons n’agissent pas tous au même rythme. » Il scruta le seau nauséabond avec un intérêt professionnel.
« Le poison ne pouvait se trouver que dans sa nourriture, déclara Radwinter. C’est la seule possibilité. Je n’ai pas bougé de ma chambre. La cellule de Broderick était verrouillée comme d’habitude, une souris ne saurait passer devant ma chambre sans que je l’entende. Et les gardes affirment qu’à aucun moment de la journée un inconnu ne s’est approché de ce côté-ci de la cour. »
Le Dr Jibson opina du bonnet. « Oui, c’était sans nul doute dans la nourriture.
— Sa potée vient du plat commun, reprit Radwinter. Je vais moi-même la chercher au corps de garde. C’est un travail de larbin, mais ainsi je peux m’assurer que rien n’a été dissimulé dans les aliments, des messages par exemple. » Il se tourna vers moi. Ses traits s’étaient durcis. « L’avis du médecin confirme ce que je pressentais. Je connais la réponse à cette énigme : le cuisinier des gardes. Il faisait la cuisine pour les moines à l’abbaye de Sainte-Marie, et il a l’air sournois. Je l’ai fait enfermer. »
Le médecin nous regarda tous les deux et déclara d’un ton sérieux : « Je dois vous avertir que cet homme n’est pas hors de péril. Il se peut qu’il reste encore du poison dans son corps. Il était déjà plutôt faible, à cause de la manière dont il est traité… » Il fit une grimace de dégoût. «… des maigres rations qu’il semble avoir reçues, ainsi que de son confinement dans cet endroit lugubre. » Il embrassa la cellule d’un regard circulaire. Par la fenêtre à barreaux je vis que l’aube s’était levée. Sur
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