Sang Royal
C’est à cause de cet endroit sinistre.
— Et que va-t-il advenir de ce gamin ?
— Le jeune Green ?
— Quelle cruelle humiliation lui a infligée Maleverer ! Lui faire traverser la ville le derrière à l’air ! »
Il réprima un éclat de rire. « Excusez-moi, se reprit-il, mais c’était drôle à voir. Les Yorkais vont sans doute le prendre en pitié et il trouvera une autre place. Venez donc ! Si on dînait avant que vous alliez vous coucher.
— D’accord. » Je me levai et nous nous dirigeâmes jusqu’au portail.
Il se tourna vers moi. « Je suis absolument désolé de vous avoir fait perdre les papiers. »
Je lui donnai une tape sur l’épaule. « Allons, foin des reproches ! Ça ne sert à rien. »
Nous allâmes jeter un œil sur les chevaux et félicitâmes le palefrenier pour les excellents soins qu’il leur prodiguait. Puis nous dînâmes au réfectoire en bons compagnons. Nous marchions tous les deux l’œil aux aguets, scrutant les coins sombres. Le réfectoire était plus animé et plus bruyant que la veille. Maintenant que le travail était terminé, les charpentiers avaient envie de faire bamboche. Si on les laissait sortir ce soir-là, la beuverie était garantie, ainsi que la bagarre. Si j’étais à nouveau épuisé et content de regagner mon petit lit, Barak déclara qu’il allait se rendre en ville. « Rien que pour voir, affirma-t-il.
— Point d’aventures !
— Je me réserve pour Tamasin. Voulez-vous que je vous réveille à six heures demain matin ?
— Oui. »
Quand il partit, je sombrai dans un profond sommeil, heureusement sans rêve, duquel me tirèrent les avocats et les clercs rentrés se coucher très tard. Toutefois je ne fus pas réveillé par Barak le matin, mais par un soldat qui me secouait sans ménagement. Il faisait encore nuit et il portait une lampe. Je le dévisageai. C’était le jeune sergent Leacon, la mine grave. Mon cœur fit un bond dans ma poitrine, car, l’espace d’un instant, je craignis que Maleverer n’eût décidé de me faire arrêter.
« Que se passe-t-il ?
— Monsieur, j’ai ordre de vous escorter immédiatement jusqu’au château d’York, répondit-il. Le prisonnier Broderick a été empoisonné. »
14.
IL N’ÉTAIT QUE CINQ HEURES DU MATIN au moment où nous traversâmes un York sombre et silencieux. Barak, déjà réveillé quand Leacon m’avait tiré du sommeil, nous accompagna à ma demande. Je souhaitais qu’un autre regard soit porté sur ce qui nous attendait au château. Alertés par le bruit de nos pas, les sergents de ville levaient leur lampe dans notre direction, mais se retiraient à la vue de la tunique rouge de Leacon. Un vent glacial s’était mis à souffler en rafales et, frissonnant, je m’emmitouflai dans mon manteau.
« Qui vous a apporté la nouvelle ? demandai-je au jeune sergent.
— Un messager du capitaine des gardes du château. Il a déclaré que le prisonnier avait été empoisonné et semblait sur le point de rendre l’âme, et que vous deviez accourir sur-le-champ. J’ai préféré venir moi-même car il faut traverser toute la ville. Autrement, les sergents de ville vous auraient arrêté à chaque coin de rue.
— Je vous en remercie. » À la lumière de sa lampe je percevais une expression d’inquiétude sur le visage juvénile de Leacon. « Je crains de vous causer beaucoup d’ennuis.
— Hier, sir William m’a convoqué et m’a posé moult questions sur votre arrivée à Sainte-Marie avec ce coffret. Il m’a fait subir un interrogatoire serré. » Il hésita, les yeux fixés sur ma plaie à la tête. « Il m’a dit que vous aviez été attaqué. Les gardes de Sainte-Marie ont reçu pour consigne de redoubler d’attention. Le roi arrive demain. »
La tour du château se dressait sur la colline, se découpant sur un ciel qui commençait tout juste à s’éclaircir. Nous pressâmes le pas en direction du flamboiement des torches du pont-levis. Puisque nous étions attendus on nous laissa passer sur-le-champ. Je remerciai le sergent et le sommai de retourner à Sainte-Marie. Barak le regarda refranchir le pont-levis.
« Il doit se dire que nous attirons les ennuis, où qu’on aille. »
Nous gagnâmes le poste de garde situé de l’autre côté de la cour. Par la porte ouverte la lumière se déversait dehors. L’homme au visage dur qui m’avait reçu lors de mes précédentes visites se tenait sur le seuil, l’air
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