Sarah
qui se
joignaient à celle d’Abram. Il en venait de partout. Des vallées, des
montagnes, des villages au milieu des pâturages, des bords de la mer de
Sel ! On aurait cru des torrents, des rivières qui s’écoulaient dans un
fleuve, le grossissaient et grossissaient encore tandis qu’il avançait vers le
nord.
Hagar arriva près d’elle, tout essoufflée.
Saraï, riant de soulagement, pointa le doigt en direction de la poussière qui
formait maintenant un nuage au-dessus de l’armée d’Abram :
— Regarde ! Ils ne sont peut-être
pas bien équipés mais, au moins, ils seront nombreux. Des milliers !
Ce soir-là, Saraï fit plier sa tente,
quitta la colline où elle s’était tenue à l’écart depuis si longtemps et
descendit dans la plaine, parmi les autres.
Elle découvrit que, depuis le premier jour
de son installation à Hébron, Abram avait interdit qu’aucune tente ne soit
dressée à côté de la sienne. Elle s’y établit sans une hésitation. Pour la
première fois depuis si longtemps, on put la voir sans que son voile rouge la
dissimule.
Chacun put constater que le temps n’était
toujours pas passé sur le corps et le visage de Saraï. Nul ne fit de remarque,
tous se comportèrent comme si ce prodige était naturel.
Le seul qui montra de l’étonnement fut
Éliézer de Damas. Il n’était pas accoutumé au visage de Saraï, l’ayant presque
toujours connu voilé. La curiosité l’attira. Quand il fut devant elle, la
beauté de sa belle-mère le troubla assez pour qu’il se montre enjôleur et
accueillant :
— Tu es encore plus belle que dans mon
souvenir. Je n’étais qu’un enfant… Abram m’a souvent parlé de ta beauté. Je ne
savais à quel point il parlait vrai. Je suis heureux de te voir de retour parmi
nous. Je suis sûr que mon père en serait fou de joie. Si tu as besoin de la
moindre chose, appelle-moi. Utilise-moi, considère-moi comme ton fils aimant.
Ce sera mon plus grand bonheur.
Saraï ne répondit pas, mais continua de le
fixer. Éliézer ne parut pas embarrassé.
— Je voulais accompagner mon père
Abram à la guerre, reprit-il d’un air contrarié. Ma place était auprès de lui
et il n’est pas de jour sans que je regrette de ne pas y être.
— En ce cas, que fais-tu ici ?
fit Saraï en soulevant un sourcil plein d’ironie.
— Mon père Abram me l’a demandé !
s’exclama Éliézer avec toute la sincérité dont il était capable. Il a voulu que
je demeure ici en son absence, pour que je puisse le remplacer si besoin était.
— Le remplacer ?
— Il m’a appris ce qu’il faut pour
cela.
Le rire de Saraï brisa net l’aplomb
d’Eliézer.
— Quoi qu’ait pu t’apprendre Abram, mon
garçon, je doute que tu puisses jamais le remplacer. Ne rêve pas. Fais comme
moi, attends sagement le retour de mon époux.
*
* *
L’été passa sans qu’il leur vienne de
nouvelles, sinon que l’armée d’Abram avait investi Sodome. Mais Loth ne s’y
trouvait plus et la ville était vidée de ses biens comme de ses habitants.
Abram poursuivait désormais les pilleurs dans le nord, peut-être au-delà de
Damas.
Sans autres informations, le temps passant
lentement, l’incertitude grandit. À l’automne, la rumeur se répandit que
l’armée d’Abram avait été vaincue. Il se pouvait qu’Abram lui-même fût compté
parmi les morts. Hagar lui rapportant cette rumeur, Saraï la fit taire :
— Ce sont des sornettes ! Je n’en
crois pas un mot.
— C’est ce qu’ils disent, s’excusa
Hagar avec douceur. Et je préférais que tu l’apprennes par ma bouche.
— Qui raconte cela ? Hagar
détourna la tête.
— Eliézer. Et d’autres.
Saraï eut un glapissement de colère.
— D’où tiennent-ils cette
nouvelle ? Ont-ils reçu un messager ? Je n’en ai vu aucun.
— Ce sont des choses qui se disent à
Salem. Et dans d’autres endroits.
— Sottises. Sottises et
méchancetés ! Je sais qu’Abram est vivant, je le sens !
Saraï n’ajouta pas qu’il n’y avait guère de
nuit désormais où elle ne rêvait pas de lui. D’Abram son amour et son époux. Le
jeune Abram d’Ur, celui de ses épousailles, celui d’Harran. Celui qui lui
apportait une couverture dans la nuit, au bord de l’Euphrate, celui qui
cherchait Canaan par la seule intuition de la croyance en son dieu. Celui qui
grondait de plaisir entre ses bras et disait : « Je ne veux pas
d’autre épouse que Saraï ! » Celui qui se
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