Sarah
bras et ma volonté
de vaincre. Saraï sourit sans l’interrompre.
— J’ai pensé à tes colères. Plus
j’étais loin de Canaan et victorieux, plus la justesse de tes paroles
m’apparaissait. Aussi, sur le chemin du retour, quand Yhwh m’a appelé, la
première parole que je Lui ai adressée a été : « Dieu Très-Haut,
j’avance tout nu ! L’héritier de ma maison, c’est Eliézer de Damas. Tu ne
m’as pas donné d’enfant. Quelqu’un qui n’est pas mon fils va prendre ce que
j’ai ! Lui, Il a répondu : Non ! Celui-là ne te prendra rien.
Celui qui sortira de ton ventre, c’est lui qui prendra tout. »
Abram se tut. Son souffle était oppressé,
inquiet. Saraï se serra plus fort contre lui. Il répéta :
— « Celui qui sortira de ton
ventre, c’est lui qui prendra tout. » Voilà les paroles de Yhwh. Je ne
peux en dire plus. Et je ne comprends pas comment cela se pourra.
— Moi, je comprends, fit doucement
Saraï après un temps. Ton dieu ne changera pas mon ventre. Ce n’est plus la
peine de l’attendre. Mais Éliézer est mauvais, plus encore que tu l’imagines.
Ta mort l’aurait réjoui, chacun a pu le voir.
— On me l’a rapporté. Mais ce n’est
pas important. Et ce n’est pas de chasser Éliézer qui me donnera un fils.
— Hagar te le donnera.
— Hagar ? Ta servante ?
— Elle est belle, elle a déjà enfanté.
Abram se tint immobile, silencieux, sans
oser regarder Saraï.
— C’est moi qui te le demande, insista
Saraï. Abram ne peut pas demeurer sans héritier qui vienne de sa semence. Ton
dieu lui-même te le dit.
— Hagar le voudra-t-elle ? Je ne
suis plus un homme jeune.
— Elle se languit d’avoir un homme
entre les cuisses, jeune ou vieux. De plus, elle t’admire autant que tu admires
ton dieu !
Abram se tut encore, chercha le regard de
Saraï dans la pénombre. Du bout des doigts, il caressa ses lèvres avec douceur.
— Tu souffriras, chuchota-t-il. Ce ne
sera pas ton enfant.
— Je serai forte.
— Je donnerai du plaisir à Hagar. Tu
souffriras. Saraï sourit pour masquer la buée de ses yeux.
— Je connaîtrai ce que tu as connu
chez Pharaon.
La jalousie
Mais Saraï ne fut pas aussi forte qu’elle
le croyait.
La douleur commença la première nuit
qu’Hagar passa sous la tente d’Abram. Se couchant, elle eut le malheur de
songer à la cicatrice d’Hagar. Cet ourlet nacré qui lui réunissait les épaules.
Elle songea aux lèvres d’Abram se posant sur cette cicatrice. La parcourant de
petits baisers.
Elle en eut si mal au ventre, mal à la
nuque et aux reins qu’elle ne put trouver le sommeil avant l’aube. Au moins
eut-elle le courage de demeurer sur sa couche.
Le lendemain, elle évita la présence
d’Abram aussi bien que celle d’Hagar. Néanmoins, au crépuscule, des aiguilles
de bronze recommencèrent à lui brûler la poitrine. Dès qu’il fit nuit, elle se
dressa derrière la portière de sa tente et écouta. Bien sûr, elle entendit le
grand rire de volupté d’Hagar. Puis ses gémissements et même le souffle
d’Abram.
Elle sortit devant la tente pour mieux
respirer. Hélas ! elle entendit encore mieux le plaisir de son époux et de
sa servante. À l’abri des regards, elle s’accroupit comme une vieille femme,
les mains sur les oreilles, les paupières serrées. Ce fut pire. Dans son
aveuglement, elle voyait le sexe d’Abram, les belles hanches d’Hagar, son
extase gourmande. Elle voyait en détail tout ce qu’elle n’aurait pas dû voir.
Elle vomit comme une femme saoule.
Le jour suivant, munie d’une gourde de
lait, de pain, d’olives et d’une peau de mouton, elle eut la sagesse de quitter
le campement pour monter sur la colline de Qiryat-Arba. Deux nuits durant,
songeant à toutes sortes de visages d’enfants, elle trouva le sommeil sous les
étoiles. Elle revint souriante au campement.
Souriante, Hagar l’était aussi. Comme ni
l’une ni l’autre n’osait se regarder, Saraï finit par rire. Elle attira Hagar
dans ses bras, lui murmurant à l’oreille :
— Je suis heureuse. Mais c’est plus
fort que moi, je suis jalouse.
— Tu n’auras plus de raison de l’être,
soupira Hagar. Abram est parti ce matin crier le nom de Yhwh dans Canaan et lui
faire des offrandes partout où il lui a dressé des autels.
Et, de fait, la jalousie cessa.
Saraï attendit avec impatience la venue de
la lune nouvelle. Elle fut la première à applaudir lorsque Hagar annonça
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