Sarah
moquait de la sécheresse de
son ventre, la faisait jouir de ses baisers, de ses mains et de son sexe. Car
désormais elle se réveillait nuit après nuit, pleine de terreur, sachant
qu’elle aimait Abram comme au premier jour. Que jamais cet amour ne s’était
effacé, juste estompé peut-être. Oui, elle était aujourd’hui tout entière
pardon et désir d’Abram. Elle était l’épouse d’Abram, pour toujours et malgré
son ventre. Malgré Pharaon et même malgré le Dieu Très-Haut qui parfois
emportait loin d’elle l’esprit et le cœur d’Abram. Et ainsi, chaque matin, elle
arrivait dans l’aube le front et le ventre humides, pleine d’espoir de le
revoir dans le jour même, horrifiée à la pensée qu’elle ne puisse plus jamais
poser ses lèvres sur les siennes.
Hagar baissa le front, pleine d’embarras.
Saraï lui saisit le menton, lui releva le visage :
— Je sais d’où vient cette rumeur.
Cependant, Eliézer prend ses désirs pour la réalité. Il devrait s’accoutumer à
n’être rien. Pour qu’il soit le fils et l’héritier d’Abram, il faudrait qu’on
apporte le corps d’Abram devant moi, et cela n’est pas pour demain. Tu peux le
lui répéter de ma part si le cœur t’en dit.
Le messager arriva alors qu’il neigeait et
gelait sur les collines autour d’Hébron. Abram était non seulement vivant mais
victorieux.
— Il reconduit Loth et sa famille à
Sodome et toutes les femmes de Sodome que les rois de Shinear, d’Ellasar,
d’Élam et de Goïm ont volées. Il rapporte de Damas la nourriture et le butin
d’or. Partout sur sa route on l’acclame et l’on dit que son dieu invisible l’a
soutenu comme aucun autre dieu. C’est ce qui le met en retard, mais il sera là
avant une lune.
Alors que les feux et les danses brisaient
le froid de la nuit, que la joie et l’exubérance emportaient comme une ivresse
toutes les épouses, les filles, les sœurs qui avaient attendu si longtemps,
Saraï aperçut la mine déconfite d’Éliézer. Il questionnait encore le messager,
argumentait, voulait douter de la nouvelle. Et lorsqu’il ne put détourner la
vérité, le rictus qu’il afficha en guise de satisfaction faisait songer à la
fureur de la déception plus qu’au soulagement.
Hagar, comme les autres, en fut choquée.
— Tu avais dit vrai sur Éliézer.
Pardonne-moi d’avoir douté de ton jugement. Je suppose qu’il en va ainsi quand
la couche d’une femme demeure trop longtemps vide. Un sourire nous abuse.
Elle eut un petit rire, rauque et
désappointé, enfonçant son visage dans le cou de Saraï pour murmurer
encore :
— Comme je t’envie d’avoir un époux
aussi beau qu’Abram, un vainqueur qui sera bientôt entre tes bras, plein
d’impatience ! Dans quelques nuits, toutes les tentes d’Hébron vont
trembler de plaisir. Pauvre de moi ! Je n’aurai qu’à me boucher les
oreilles et à boire de la tisane de sauge !
Saraï lui rendit ses caresses, l’écarta,
sérieuse, la considérant soudain avec une tendresse émue, presque craintive.
— Qu’y a-t-il ? s’étonna Hagar en
riant vraiment.
— Rien, répondit Saraï.
*
* *
Saraï n’attendit pas Abram à l’entrée du
campement, parmi les autres épouses, mais sous sa tente. Quand il en poussa la
portière et la découvrit dévoilée, nue, il se mit à trembler.
Il avança comme un jeune homme. Timide,
émerveillé, le souffle court. Devant elle, il tomba à genoux. L’enlaça avec
crainte. Posant son front et sa joue contre son ventre.
Saraï plongea ses doigts dans sa chevelure.
Comme elle était argentée ! Elle effleura les rides épaisses de son front,
ses épaules tannées. Avec le temps, sa peau était devenue moins fine et moins
ferme, blanche comme du lait là où la tunique le protégeait du soleil.
Elle le releva, le dénuda, baisa la
naissance de son cou, lécha ses menues cicatrices, ses côtes et son ventre
musclé. Il sentait l’herbe et la poussière.
Elle se mit à trembler à son tour quand il
la souleva, l’emporta jusqu’à la couche. Lui ouvrant les cuisses comme on
dévoile l’offrande d’un délice.
Ils ne prononcèrent pas une parole avant de
trouver le souffle du plaisir d’être redevenus Abram et Saraï.
*
* *
Il faisait nuit quand Abram déclara :
— J’ai fait la guerre, je me suis
battu avec l’aide du Dieu Très-Haut. Mais il n’y a pas eu un jour sans que je
pense à toi. Ton amour, je l’ai senti dans la force de mon
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