Sarah
crois pas que je te parle comme
une femme aigrie. Je ne le suis pas. Même si je me tiens à l’écart de tous,
même si je n’ai plus envie d’être dans les bras d’un homme, fût-il mon époux.
Il est vrai que je t’envie. Mais mon désir est de voir ton ventre grossir,
porter un enfant. Quand ce jour arrivera, je te tiendrai la main. Cependant, détourne-toi
d’Éliézer. Dès qu’il t’aura possédée, il t’oubliera.
Après avoir parlé ainsi, Saraï
s’interrogea : « Est-il vrai que je ne suis pas une femme
aigrie ? Si mon visage vieillissait comme un visage ordinaire, n’y
verrais-je pas cette tristesse et cette bouche mince et amère des épouses qui
n’attendent plus de jouissance ni de bonne surprise de leur mari ? »
Elle préféra ne pas répondre à ses propres
questions, mais remarqua qu’Hagar descendait de plus en plus souvent dans la
plaine. Sous un prétexte ou un autre, il n’était guère de jour où elle n’eût à
faire parmi les tentes d’Abram. Quand elle en revenait, contrairement à son
habitude, elle se taisait, ne racontait rien de ses rencontres et de ses
bavardages. Saraï ne douta pas qu’elle vît souvent Eliézer, malgré ses
conseils.
Elle se contenta de hausser les épaules.
Après tout, Hagar était assez femme pour choisir l’homme de son plaisir et de
son destin.
*
* *
Un après-midi, un grand vacarme agita les
tentes d’Abram. Saraï vit des gens courir en tous sens. Cela dura si longtemps
qu’elle s’inquiéta, craignant que quelque chose de mauvais soit advenu. Elle
s’était déjà recouverte de son voile rouge pour descendre aux nouvelles lorsque
Hagar arriva hors d’haleine :
— C’est la guerre ! Abram part à
la guerre ! Ton neveu Loth est prisonnier à Sodome, il part le
délivrer !
— Mais il n’a pas d’armée, répliqua
aussitôt Saraï. Pas même des armes, rien que des bâtons ! Il ne sait pas
se battre !
Au même instant, les trompes résonnèrent
dans le campement, des appels vibrèrent dans la plaine. La colonne conduite par
Abram se forma à la lisière des tentes. On entendit les cris des épouses et des
enfants.
— Ils partent déjà ? s’exclama
Saraï, incrédule. Abram est devenu fou.
— Il faut bien libérer ton neveu avant
qu’on le tue, répliqua Hagar sur un ton de reproche.
Saraï ne l’écouta qu’à peine. Elle scrutait
la colonne qui s’éloignait sur la route menant au Jourdain. Une si maigre
colonne ! Elle chercha à reconnaître Abram en tête, se demandant comment
il était vêtu et armé pour combattre. Sans doute avait-il pris sa courte épée
de bronze ? Ses compagnons devaient être encore moins bien équipés que
lui. Elle devinait les bâtons sur les épaules, les piques que l’on utilisait
pour conduire les mules et les bœufs.
Quelle folie !
Elle songea à courir, à rejoindre Abram
pour lui dire : « Tu ne peux aller te battre ainsi ! Tu vas à ta
perte. Ceux qui ont pu vaincre Sodome et Gomorrhe sont puissants. Ils te
massacreront, toi et tous ceux qui t’accompagnent ! »
Mais Abram ne l’écouterait pas. Après tout
ce temps de silence, de quel droit lui dirait-elle ce qui était sage ?
Puis elle pensa à Loth. Hagar avait raison.
Loth était en danger. Il était bien qu’Abram se porte à son secours. Elle
songea : « Loth attend l’amour d’Abram depuis si longtemps. Je ne
dois rien entraver. Mais demain, après-demain, on va m’apprendre qu’ils sont
morts tous les deux. »
L’appréhension brusquement lui serra la
poitrine.
Une peur qu’elle n’avait pas ressentie
depuis bien longtemps lui piqua les reins.
Après tant d’éloignement, soudain elle
aurait voulu voir le visage d’Abram. Elle aurait voulu baiser ses lèvres avant
qu’il parte se battre. Passer la main sur ses vêtements, sur ses paupières et
son front. Lui sourire afin qu’il n’aille pas combattre avec la froideur de son
épouse dans le cœur.
Mais il était maintenant bien trop loin. La
colonne disparaissait à l’est d’Hébron.
— Qu’ai-je fait ? s’écria Saraï,
à la surprise d’Hagar.
Elle s’éloigna précipitamment de sa tente.
Malgré la pente très raide, elle courut tout en haut de la colline de
Qiryat-Arba, là où le regard pouvait dominer la plaine d’Hébron, atteindre les
montagnes et les rivières de Canaan.
Quand elle y parvint, ce qu’elle découvrit
la stupéfia. Du sud, de l’ouest et de l’est affluaient d’autres colonnes
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