Sarah
bienvenu…
Elle laissa retomber derrière elle la
tenture de la porte.
— Ma fille !
Sous sa barbe longue et noire, aux
ondulations parfaites, le double menton de son père se gonfla de plaisir. D’un
geste Ichbi Sum-Usur congédia les serviteurs. Le scribe et son aide prirent à
peine le temps de recouvrir d’un linge leur ouvrage inachevé et s’éclipsèrent
en ployant plusieurs fois la nuque devant Saraï. Ichbi Sum-Usur ouvrit alors
les bras en grand, répétant, comme si ces mots, dans sa bouche, étaient du
miel.
— Ma fille, ma première à
marier !
— Je suis bien heureuse de te voir,
mon père.
Et c’était vrai. Elle l’était toujours. Non
que son père fût particulièrement bel homme. Il était à peine plus grand
qu’elle et sa corpulence témoignait de son manque d’exercice ainsi que des trop
plantureux repas qu’il aimait organiser en toute occasion. Cependant, sa
prestance la séduisait, cette sorte de distinction que donne la puissance et
qui n’appartenait qu’aux plus nobles natifs d’Ur. Son regard, souligné d’un
large trait de khôl, possédait l’assurance de ceux qui se savent au-dessus de
la multitude. De plus, aujourd’hui, il s’était drapé dans une tunique
magnifique, ourlée de broderies multicolores et de petits glands d’argent,
insignes des fonctionnaires de premier rang. La robe de Saraï, bien que d’une
finesse extrême, en paraissait presque banale.
Elle était fière de son père, fière d’être
sa fille et, bien qu’il revînt à Kiddin, le frère aîné, d’être le premier des
enfants d’Ichbi Sum-Usur, elle ne doutait pas d’être la première dans son cœur.
Et elle n’aimait rien tant que de s’en assurer.
Elle ploya le buste en un salut
respectueux, un peu excessif peut-être, mais qui déclencha un grognement
satisfait de son père. Il s’approcha, lui releva la tête d’un doigt sous le
menton.
— Tu es belle à voir, mon enfant.
Égimé affirme que tu as été bonne fille dans la chambre rouge. C’est bien. Je
suis content de toi. Et toi, es-tu contente de moi ?
Saraï respira le parfum de myrrhe dont il
s’était abondamment aspergé et se contenta d’un battement de cils pour toute
réponse.
— C’est tout ? Je te fais
construire la plus belle chambre de cette maison et c’est tout le merci que tu
m’en fais ?
— Je suis très contente de ma chambre,
mon père. Le lit surtout est très beau. Tout est très beau. Le coffre et les
robes. Tout. Et tu es toujours mon père adoré.
— Mais ? soupira Ichbi Sum-Usur,
qui savait lire en elle aussi bien que sur une tablette des scribes royaux.
— Mais, mon père bien-aimé, j’ignore
tout de l’époux qui viendra m’y rejoindre. Selon qui il sera, peut-être
trouverais-je mon lit bien moins beau et ma chambre pire qu’un pisé de la ville
basse.
La surprise arrondit le sourcil d’Ichbi
Sum-Usur avant qu’une plainte, mi-soupir mi-rire, agite les glands de sa toge.
— Saraï ! Saraï, ma fille !
Tu ne changeras donc jamais ?
— Mon père, je veux seulement savoir
qui tu m’as choisi pour époux et pourquoi. N’en ai-je pas le droit ?
La voix de Saraï n’était ni larmoyante ni
soumise. Au contraire, Ichbi Sum-Usur put y percevoir une vibration qu’il
connaissait bien. Cette modulation qu’il possédait lui-même lorsqu’il attendait
que l’on se plie sans discussion à ses ordres.
Ses paupières voilèrent à demi ses yeux.
Comme il le faisait lorsqu’il voulait impressionner ses subalternes, il laissa
s’appesantir le silence. Dehors, dans la cour, des voix lancèrent des saluts de
bienvenue. Des invités arrivaient. Saraï posa sa petite main sur le large
poignet de son père. Il se redressa avec toute la solennité dont il était
capable.
— Un père choisit celui qui prendra sa
fille pour épouse selon les raisons qui lui conviennent. Celui que je t’ai
choisi me convient. S’il me convient, il te conviendra.
— Je veux seulement voir son visage.
— Tu auras toute ta vie d’épouse pour
le voir.
— Et s’il ne me plaît pas ?
— Un mariage n’est pas un caprice. Un
époux ne se choisit pas parce qu’il a un joli nez.
— Qui te parle de nez ? N’est-ce
pas toi qui m’as appris à reconnaître le destin d’un homme en observant son
visage et sa démarche ?
— Alors fais-moi confiance. J’ai fait
le bon choix.
— Père, s’il te plaît !
— C’est fini ! s’énerva pour de
bon
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