Sarah
d’apercevoir les tentes des mar.Tu, à
peine plus hautes que les roseaux afin que le vent glisse sur leurs toits
incurvés. Des centaines de tentes rondes, tendues d’épaisses toiles brunes ou
beiges. Certaines étaient aussi vastes que de vraies maisons, d’autres, tout en
longueur, entouraient des enclos de joncs où l’on avait rassemblé le petit
bétail.
À la vue de cet immense campement où
s’agitait déjà une foule de femmes vêtues de longues robes et d’enfants
demi-nus, Saraï s’immobilisa, le cœur battant. Si les dieux réprouvaient ce
qu’elle était en train de faire, c’était maintenant que leur colère devait
s’abattre sur elle.
Elle reprit sa marche sur le chemin sableux
qui conduisait à l’intérieur du campement. À peine eut-elle atteint les
premières tentes que les femmes interrompirent leurs tâches. Les enfants, à
leur tour, suspendirent leurs jeux. Embarrassée, rougissante, Saraï chercha un
sourire qui ne vint pas. Les femmes s’attroupèrent sans un mot au milieu du
chemin. Les enfants avancèrent à sa rencontre. Les yeux brillant de curiosité,
se pressant autour d’elle, ils scrutèrent ses cheveux, sa ceinture, son panier
qu’elle n’avait même pas songé à vider de ses fleurs. Était-ce la première fois
qu’ils voyaient une habitante de la ville royale ?
Rassemblant son courage, du ton le plus
neutre, Saraï salua avec respect, invoqua la protection d’Ea le Puissant sur
tous et toutes, puis demanda où se trouvaient les tentes du clan de Terah, le
fabricant d’idoles qui façonnait des statues d’ancêtres.
Les femmes ne parurent pas comprendre.
Saraï craignit de n’avoir pas prononcé correctement le nom du père d’Abram.
Elle répéta : « Terah, Terah…», cherchant les intonations que les
syllabes pouvaient avoir dans la langue amorrite. La plus âgée des femmes lança
alors quelques mots dans la langue mar.Tu. Deux autres femmes lui
répondirent en secouant la tête. La vieille femme observa encore Saraï, ses
yeux gris pâle étonnés mais bienveillants, avant d’annoncer :
— Terah n’est plus ici. Lui et tous
les siens sont partis.
— Partis ?
La surprise de Saraï fut si grande qu’elle
faillit crier. La vieille mar.Tu expliqua :
— Il y a deux lunes déjà. C’est
l’hiver. Il est temps de conduire les troupeaux des Puissants pour l’impôt.
*
* *
Elle avait tout prévu, mais pas un instant
elle n’avait imaginé qu’Abram et sa famille ne soient plus là.
Elle avait songé à la colère qu’Abram
aurait peut-être en la voyant. Ou au bonheur de découvrir son sourire
lorsqu’elle apparaîtrait devant lui.
Elle avait pensé aux mots qu’elle lui
dirait : « Je suis venue à toi pour que tu poses ta bouche sur la
mienne. Mon père va me trouver un nouvel époux. Cette fois je ne pourrai pas le
refuser. S’il me demandait mon avis, c’est toi que je choisirai. Mais je sais
que jamais un Puissant de la ville royale n’a donné sa fille à un mar.Tu. Pourtant,
depuis trois lunes, il n’est pas de jour sans que je pense à toi. Je pense à
tes lèvres et au baiser que j’ai voulu y prendre la nuit où tu m’as protégée.
J’y ai réfléchi. J’ai prié la sainte Inanna, j’ai déposé des offrandes à Nintu
et devant les statues de nos ancêtres dans le temple de mon père. J’ai attendu
qu’ils me parlent, qu’ils me disent si mes pensées étaient mauvaises. Ils se
sont tus. Ils m’ont laissée sortir de la ville sans colère. Maintenant je suis
devant toi, car je sais que ton baiser me purifiera de tout. Aussi bien que
l’eau glacée de la chambre rouge, mieux qu’une vasque de parfum et les
sacrifices des brebis. Donne-moi ce baiser, Abram, et je rentrerai dans la
maison de mon père pour devenir l’épouse de celui à qui il me donnera. Je
l’accepterai. Quand il viendra dans mon lit, il y aura le souffle de ton baiser
sur mes lèvres pour me protéger. »
Elle avait pensé qu’il rirait. Ou se
fâcherait. Elle avait pensé que peut-être il ne voudrait pas se satisfaire d’un
baiser. Elle était prête pour cela. Rien venant de lui ne pouvait la souiller.
Rien de ce qu’il prendrait d’elle et que n’aurait pas son futur époux ne
l’amoindrirait.
Mais peut-être qu’il dirait :
« Non ! Je ne veux pas que tu repartes. Je ne veux pas qu’un inconnu
entre dans ton lit. Viens, je vais te présenter à mes frères et à mon père. Tu
seras mon épouse choisie. Nous
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