Sarah
partirons loin d’Ur. »
À cela aussi elle était prête.
Elle avait imaginé tant de choses !
Mais jamais elle n’avait pensé qu’il puisse
avoir quitté le bord du fleuve. Être loin d’elle et inatteignable.
Maintenant, que devait-elle faire ?
Maintenant qu’elle courait loin des tentes des mar.Tu, à en perdre le
souffle pour ne pas pleurer ?
Sililli devait la chercher dans tous les
recoins de la maison, le cœur battant, folle de terreur. Cachant à toutes et à
tous que le lit de Saraï, à son réveil, était vide. Elle redoutait trop la
fureur d’Ichbi Sum-Usur. Elle devait supplier ses dieux de la faire revenir.
Saraï pouvait accomplir la volonté de
Sililli. Celle de son père. Elle pouvait revenir et dire : « Je suis
allée prier au grand temple pour me purifier. » Sililli la croirait, trop
soulagée. On se féliciterait de sa sagesse.
Son père, la prochaine fois qu’elle
sortirait de la chambre rouge, lui annoncerait qu’il avait enfin convaincu un
homme de la ville royale de la prendre pour épouse. Un Puissant, moins riche et
moins beau que celui qu’elle avait humilié, mais à qui la faute ?
Saraï devrait alors baisser la tête, entrer
dans le temple, écouter le devin. Son père n’inviterait personne. Il n’y aurait
ni chants, ni danses, ni festins. Mais l’époux, plein d’impatience, viendrait
dans sa chambre et dans son lit.
Il la toucherait sans que le baiser d’Abram
la protège. Sans que les lèvres, les mots et les caresses d’Abram l’assistent
tout au long de sa vie d’épouse.
C’est alors qu’elle entendit une phrase.
Une phrase sans lèvres pour la prononcer, comme seuls les dieux ou les démons
pouvaient en souffler :
« Tu as besoin de quelque chose,
déesse ? N’importe quoi, Kani Alk-Nàa te le vend ! »
Saraï cessa de courir, la poitrine en feu,
les yeux piquants de larmes.
« Tu as besoin de quelque chose,
déesse ? »
La vieille sorcière ! La kassaptu qui
l’avait apostrophée le jour de sa rencontre avec Abram ! Sa voix résonnait
dans la tête de Saraï. Et, comme en écho, elle se souvint des histoires
racontées par ses tantes dans la chambre rouge : « Il en est une qui
a bu de l’herbe de sécheresse. Elle n’a plus eu de sang pendant trois lunes.
Son époux n’a plus jamais voulu la toucher ni entendre parler d’elle. Ni lui ni
aucun autre homme. Une femme capable d’arrêter son sang, qui en
voudrait ? »
Saraï reprit son souffle. Un sourire aussi
gris que le ciel brouilla ses traits. Les dieux ne l’abandonnaient pas. Ils ne
la laissaient pas disparaître entre les mains d’un époux comme une chair morte.
*
* *
— De l’herbe de sécheresse ?
marmonna la kassaptu. C’est vraiment cela que tu veux ?
Saraï se contenta de hocher la tête. Son
cœur battait à grands coups. Il avait été moins difficile de retrouver l’antre
de la sorcière que d’y pénétrer. Chacun, dans la ville basse, semblait connaître
Kani Alk-Nàa. Néanmoins, avant de trouver le courage de franchir le seuil de
l’unique pièce qui lui servait de tanière, Saraï avait arpenté la rue une
dizaine de fois.
— Tu es bien jeune pour vouloir de
l’herbe de sécheresse, poursuivit Kani Alk-Nàa. C’est dangereux, quand on est
aussi jeune que toi.
Saraï résista au désir de répliquer. Elle
plaqua un peu plus fort ses mains l’une contre l’autre, afin que la sorcière ne
les voie pas trembler.
— Es-tu au moins une épouse ?
De nouveau Saraï ne répondit pas. Elle fixa
les dizaines de paniers qui s’entassaient dans les recoins de la pièce,
dégageant une odeur de poussière et de fruits pourrissants. Un gloussement
mouillé attira son regard. La vieille riait, sa petite langue rose frétillant
entre ses gencives nues comme une queue de serpent.
— Tu as peur ? Tu as peur que
Kani Alk-Nàa te jette un sort, fille de Puissant ?
Sans un mot Saraï ôta la bourse passée à
son cou et en renversa le contenu devant la sorcière.
— Trois sicles, calcula la vieille.
Elle ramassa avidement les anneaux de
cuivre et d’argent. Elle ne riait plus.
— Je me fiche que tu sois épouse ou
non. Mais il me faut savoir si cela a déjà eu lieu.
Saraï hésita, pas certaine de bien
comprendre. La vieille soupira et dit avec agacement :
— Le taureau est venu entre tes
cuisses ? Tu es une femme-ouverte ? Sinon, tu reviendras me voir
après que l’homme t’a écarté les cuisses.
— Je suis
Weitere Kostenlose Bücher