Sarah
qu’un baiser d’Abram
la purifierait pour le reste de sa vie d’épouse, elle espérait de leur
rencontre une manière de miracle.
Non, elle n’avait pas menti à Sililli.
Peut-être lui suffirait-il d’apprendre que, durant toutes ces années, lui non
plus ne l’avait pas oubliée.
Mais s’il ne venait pas ?
Elle repoussa cette question. Elle devait
être patiente. Peut-être le temps passait-il plus lentement qu’il lui semblait
et que dehors le soleil n’était qu’à peine levé.
Le frottement des sandales la fit
sursauter. Il était là, debout dans la lumière mobile des lampes à huile.
Il y eut un bref moment d’embarras. Puis il
s’inclina avec cérémonie. Ses premiers mots furent pour s’excuser de ne pas
savoir comment on devait saluer une Sainte Servante du Sang dévouée aux
offrandes d’Ishtar.
Sa voix n’avait pas changé. Il avait
toujours son accent de mar.Tu. Elle répondit :
— Avec beaucoup de respect et encore
plus de crainte.
Ils rirent tous les deux. Un rire comme
Saraï n’en avait pas eu depuis longtemps, pareil à de l’eau fraîche et qui
dissipa un peu de leur gêne.
Ils prirent place sur les coussins, une
table basse entre eux. À l’exception des cheveux et de la barbe qu’il avait
plus fournis, il n’avait guère changé. Sa bouche était toujours aussi belle,
aussi parfaite. Ses pommettes peut-être plus saillantes. Un visage d’homme
décidé et qui déjà avait affronté des épreuves.
Saraï versa de l’infusion de thym et de
romarin dans des gobelets de cuivre et dit :
— J’ai craint que tu n’oses pas venir.
— Mon père et mes frères ne le
voulaient pas. Ils sont effrayés à l’idée que ma présence ici soit un
blasphème. Ils ont peur de ton père et de ton frère. C’est ainsi chez nous, les mar.Tu : nous craignons beaucoup de choses.
Elle se souvenait de son ton plein
d’assurance. S’y ajoutait maintenant une moquerie paisible, la distance d’un
homme qui pesait la force des pensées avant de les faire siennes. Il but une
gorgée et ajouta :
— J’ai quitté nos tentes au milieu de
la nuit, sans qu’ils me voient. J’ai pris des poteries dans le four de mon père
afin que l’on croie que je les apportais au temple. Je les ai données à ta
servante. Mon offrande à ta déesse !
Saraï sentit son cœur battre plus vite. Ces
mots étaient comme la première lueur d’une promesse : lui aussi trichait
et mentait pour elle.
— La dernière fois, au bord du fleuve,
il t’avait aussi fallu te cacher pour emporter de la nourriture et des peaux.
Abram hocha la tête avec un petit sourire.
— Oui… Il y a si longtemps…
— Mais tu ne l’as pas oublié.
— Non.
L’embarras revint d’un coup. L’un et
l’autre mangèrent des dattes et des gâteaux au miel. Abram montrait un appétit
tout à fait sincère. Saraï éprouva un plaisir étrange, neuf et troublant, à le
voir accomplir ces gestes simples. Au-dessus du col de la tunique, à la
naissance du cou, la peau d’Abram lui parut d’une finesse extrême. Elle eut
envie d’y poser les doigts.
Elle dit :
— Ce matin-là, les soldats m’ont
retrouvée et m’ont reconduite dans la maison de mon père.
Elle laissa fuser un petit rire.
— Il était très en colère. Cependant,
quelques lunes plus tard, j’ai pu m’échapper à nouveau. Je suis allée jusqu’à
vos tentes. Je voulais… te remercier pour ton aide. Mais on m’a appris que ta
famille n’était plus là.
— Nous étions partis vers le nord, et
nous y sommes restés.
Abram raconta comment, après avoir conduit
les troupeaux dans l’immense centre de l’impôt royal, à Puzri-Dagan, Terah
avait décidé de s’installer à Nippur pour vendre ses poteries.
— Là-bas, il y a des temples partout.
Les Puissants veulent de nouvelles statues de leurs ancêtres chaque année,
s’amusa Abram.
Tandis que l’atelier de son père
prospérait, lui et ses frères, Harân et Nahor, avaient fait croître des
troupeaux de petits bétails pour le compte des grandes familles de Nippur. En
trois ou quatre ans, leur prospérité, due tout autant à l’élevage qu’aux
poteries de son père, avait suffisamment crû pour qu’ils puissent prétendre
posséder leurs propres troupeaux. Le nombre de bêtes augmenta tant qu’après
chaque échéance de l’impôt à Puzrish-Dagan ils déplaçaient les troupeaux d’une
ville à l’autre, d’Urum à Adab, longeant les pentes des
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