Sarah
dansait. Elle leva une main.
— Écoute-moi, je vais te faire un don
plus important que ma mort et celles des mar.Tu. Les Gutis vous
tendent un piège. Ils n’arriveront pas de l’est, où sont postées les troupes du
Shu-Sin, mais sur des bateaux huhnurs qui accosteront demain dans la ville
basse. Va prévenir les Puissants. Tu pourras montrer fièrement ta
blessure : c’est le prix de la nouvelle que tu apportes. Tu seras un
héros. Et si vous êtes assez courageux, vous sauverez la ville.
Sans s’attarder à écouter les malédictions
que Kiddin déversait sur elle, Saraï conduisit Abram et Harân vers l’entrée de
l’étroit couloir qui contournait le giparù de l’intérieur.
— Dépêchons-nous. Nous avons fait
assez de bruit pour réveiller le temple.
La mèche d’une lampe troua soudain
l’obscurité.
— Saraï ! chuchota Sililli. Que
fais-tu ? Et qui sont…
Elle se tut, la bouche ouverte, en
découvrant Abram et Harân, la poitrine bardée d’un linge rouge.
— Grand Ea !
Saraï posa doucement les doigts sur sa
bouche.
— Je pars, Sililli. Je pars avec
Abram. Je quitte le temple et la ville. J’épouse Abram le mar.Tu.
Sililli repoussa la main de Saraï. Sa
bouche tremblait, silencieuse pour une fois.
— Vite, les pressa Abram. Il nous faut
passer la porte du sud avant que les gardes ne nous en empêchent.
— Et que je ne sois plus en état de
courir, souffla Harân.
— Tu pars, tu quittes, tu épouses… fit
Sililli d’une voix presque enfantine. Et moi ? Qu’est-ce que je vais
devenir ? Y as-tu seulement pensé ? Leur colère va retomber sur
moi !
Saraï caressa d’un geste plus tendre la
joue de Sililli.
— Tu peux me suivre.
— Mais décide-toi vite, ordonna Abram.
Sililli prit cependant le temps de
l’observer comme si elle ne l’avait jamais vu. Puis son regard se posa sur la
poitrine d’Harân où le sang maintenant suintait à travers l’étoffe.
— Vivre sous les tentes des mar.Tu !
Ô Puissant Ea, protège-moi ! soupira-t-elle.
— Sois prudente. Sous les tentes des mar.Tu, il est fort possible qu’Ea ne puisse rien pour toi, grimaça Harân.
— Oh ! ça, je m’en doute !
répliqua Sililli. Mais toi, mon garçon, tu ferais mieux de garder ton souffle
et ton sang si tu veux pouvoir fuir.
À l’adresse de Saraï et d’Abram, elle
ajouta :
— Filez vers la petite porte. Je vais
passer prendre des linges et des herbes pour le panser plus efficacement
lorsque nous serons hors du temple.
*
* *
Ils quittèrent Ur, cachés dans le
chargement d’une barque dont Abram avait grassement payé les rameurs. Après
avoir remonté le courant du fleuve pendant une dizaine d’us, ils se
firent débarquer sur la rive opposée. Là, un chariot léger, aux ridelles de
jonc et de nattes, attelé de deux mules, les attendait.
Dès que ce fut possible, Abram, craignant
les contrôles royaux, quitta la grande route qui remontait vers Nippur.
Attelées tour à tour, les mules s’engagèrent dans les sentiers des troupeaux
qu’elles connaissaient bien. Ils ne prirent aucun repos. Abram et Saraï parfois
descendaient du chariot pour alléger son poids. La main dans la main, sans un
mot, ils marchaient côte à côte.
Saraï songea alors que ses épousailles
commençaient. Ils ne s’étaient pas encore embrassés, cependant elle n’osait pas
provoquer ce baiser. Il viendrait à son heure.
Elle se souvint de leur rencontre au bord
de l’Euphrate, lorsque Abram lui avait saisi la main pour la conduire sous la
dune où il avait allumé un feu. Il avait dit alors, la moquerie dans la
voix : « Ce n’est pas tous les jours que les filles des Puissants
d’Ur se perdent dans les joncs au bord du fleuve. Je pourrais te conduire sous
la tente de mon père. Mais il croirait que je lui amène une épouse, et mes
frères seraient jaloux. »
À présent il s’agissait bien de cela :
Abram l’emmenait sous la tente de son père. Demain il serait son époux. La nuit
interrompue de leur rencontre enfin se poursuivait.
*
* *
Ils parvinrent au campement dans le milieu
du jour suivant.
La tribu de Terah était devenue si
nombreuse que le rassemblement des tentes faisait songer à une petite ville.
D’abord, on accorda moins d’attention à
Saraï qu’à Harân. Les herbes et les soins de Sililli avaient limité la fièvre,
mais pas la souffrance. Cependant, après que l’on eut enduit sa plaie, après
avoir bu le vin épicé
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